Archive pour la catégorie ‘Le blog’

coup de rabot sur les contrats responsables

Mardi 31 août 2010

Le gouvernement va réduire l’avantage fiscal des «contrats responsables ». Créés en 2005, ils visaient à inciter les complémentaires santé (mutuelles, assureurs, institutions de prévoyance) à ne pas rembourser des pénalités mises en place pour limiter les dépenses de santé. Par exemple le respect du parcours de soin ou les franchises sur les boîtes de médicaments. Or, les contrats responsables représentent aujourd’hui la quasi-totalité des contrats d’assurance-maladie complémentaire (95 %). Ils sont tellement répandus qu’il n’y a plus vraiment lieu de maintenir l’exonération de la taxe sur les conventions d’assurance (7 %), argumente l’exécutif. Le gouvernement a tout de même décidé de maintenir une différence avec les contrats « non responsables », en instituant un taux intermédiaire de 3,5 %. Le gain pour l’Etat est de 1,1 milliard d’euros.  La taxe sur les conventions d’assurance, normalement affectée aux départements, sera donc en partie dirigée vers la Cades. Les complémentaires risquent fort de répercuter cet alourdissement de la fiscalité, au moins partiellement, dans les prix des contrats. Un effet pervers pour le portefeuille des assurés que le gouvernement se garde bien d’évoquer pour l’instant. (les échos 31/08).

Première condamnation de l’Etat pour manquement dans l’exercice de la tutelle

Mercredi 30 juin 2010

Pour la première fois, une décision de justice  conclut à la mise en cause de la responsabilité de l’Etat pour manquement dans l’exercice de la tutelle.    Le contentieux du CREF pourrait – à lui seul – faire le sujet d’un DESS complet en droit de la retraite, mais cette décision qui est à ma connaissance la première du genre, mérite d’être examinée.     A suivre… (Lire la suite…)

emploi des seniors : créativité, inventivité, convivialité….

Vendredi 18 juin 2010

Elles sont une vingtaine de grands-mères à compléter leur retraites, aiguilles à la main, pelote au sol et peut-être matou sur les genoux. Toutes sont inscrites sur le site Golden Hook (Le Crochet d’or). Il y a Sarah, 85 ans, ancienne crémière et « inconditionnelle de [l'émission] ’La roue de la fortune’ », Simone, « qui ne lâche pas son mp4″ ou encore Claude,  »ancienne capitaine de handball et d’athlétisme », autrefois tisserande.

DE JÉRÉMY À CHRISTINE     Sur le blog du site, on trouve parfois une annonce comme celle de Mady : « J’ai 65 ans et je m’ennuie. J’ai tricoté toute ma vie et travaillé pour Phildar quelques années. Comment faire pour rejoindre votre groupe de tricoteuses ? J’attends votre réponse. » Ou encore celle de Neugnot :  »Cela fait quarante-cinq ans que je tricote ; j’ai même tricoté pour des personnes qui revendaient [de la laine mohair]. J’adore créer des vêtements en laine. Si cela vous intéresse, vous pouvez me contacter. » Les propositions ne semblent pas manquer.Jérémy Emsellem, créateur du site, est âgé de 24 ans. Il a lui-même appris le tricot grâce à une amie et s’est rapidement rendu compte qu’« avec des grosses aiguilles et une laine plus épaisse, on allait beaucoup plus vite. Je mettais une semaine à faire un bonnet, alors qu’en changeant de matériel, ça me prenait deux heures ». Mais le véritable déclic a eu lieu lors d’une visite à sa grande-tante dans une maison de retraite. C’est là qu’il a eu l’idée de faire tricoter ces mamiesqui, jusque-là, œuvraient en solitaire.En 2008, il crée un site Internet et pose des annonces chez les commerçant du coin, près de Nogent-sur -Marne, pour recruter ses grands-mères : « Cherche mamie disponible pour tricoter et faire des bonnets customisés. Prestations rémunérées et à domicile. Appeler Jérémy au 06.. »Il lui faudra changer le texte de l’annonce et se prénommer Christine pour que les six premières mamies répondent.Il passe du temps avec ces grands-mères, autour de chocolats chaud et de petits gâteaux. « J’ai pris sept à kilos kilos dans l’hiver. » Mais ça marche. Deux cent cinquante bonnets sont tricotés par les mamies pionnières. On commande son modèle, sa laine, le tout certifié made in France, avec de la laine provenant d’élevages français. Si le prix d’un bonnet varie de 40 à 70 euros environ, le jeune entrepreneur n’aime pas tellement parler chiffres. « On trouve soit que les mamies sont surpayées, soit le contraire. » Il affirme cependant qu’au cours de l’hiver, elles gagnent en moyenne 400 euros par mois, avec un pic en décembre, « certaines mamies pouvant gagner en un mois jusqu’à 1 200 euros ». Peu importe le prix de vente du bonnet, elles sont rémunérées à la pièce tricotée. « Quand elles ont travaillé quarante ans pour avoir un minimum retraite de 500 euros, ça compte. »ACCENTUER LA PROXIMITÉPeu d’initiatives similaires ont vu le jour : il y en a eu une au Danemark il y a quelques années, tandis que quelques sites, comme etsy.com, proposent à des artisans – dont des tricoteuses – de vendre leur travail. En Suisse, on peut se faire faire des chaussettes tricotées, mais  »pas très funky », précise Jérémy Amsellem.Le fondateur de Golden Hook met en avant son amour pour les grands-mères – il n’a pas connu les siennes – mais, businessman, il a bien compris aussi qu’il avait trouvé une philosophie originale pour sa marque : des accessoires tendance, dessinés par sa complice et styliste Maïa, et fabriqués dans l’art de la tradition.Aujourd’hui, une vingtaine de grands-mères travaillent pour le site. Une Google map devrait permettre dans peu de temps de trouver la grand-mère la plus proche, pour « accentuer la proximité et les rapports inter-générationnels« .

Sylvie Chayette (le monde)

retraite : analyse de classe (d’âge)

Jeudi 17 juin 2010
  • Nous vous mettons en ligne le document d’orientation du gouvernement.
  • Si on tente un résumé voici ce que l’on peut dire des grandes lignes de ce projet :
  • 1. Les fonctionnaires et régimes spéciaux seront impactés… peut être… plus tard… on ne sait pas comment… la réforme portera donc sur les salariés du secteur privé marchand et les indépendants. Comme c’est original !
  • 2. Dans la fonction publique, les femmes qui ont élevé trois enfants perdent la possibilité d’un départ anticipé… mais pas pour celles dont les enfants sont déjà nés à la date de la réforme en vertu des « droits acquis » (mais alors pourquoi appliquer la décote)… Les régimes de salariés apprécieront, qui ont tous modifié leurs mesures d’âge et leurs avantages familiaux avec effet immédiat. Dans ces même régimes, c’est encore les femmes qui prendront de plein fouet le recul du taux plein à 67 ans.
  • 3. Qu’ils soient riches ou qu’ils soient pauvres, ce sont les 35/55 qui vont supporter le poids de la future réforme.
  • 4. La fiscalité sur les revenus et les patrimoines est alourdie, elle pèsera essentiellement sur la tranche 45/55 qui est la tranche dont les revenus sont les plus élevés. La seule manière de toucher les retraités sera la taxation de leurs revenus du capital, aucune augmentation de la CSG sur les pensions de retraite n’est envisagée (même assortie d’une progressivité pour éviter de peser sur les petites retraites).
  • 5. L’âge de départ est reporté à 62 ans (ce qui nous permet d’être certains que cette réforme n’est pas la dernière). Les salariés vont partir (un peu) plus tard à partir de 2018 avec (beaucoup) moins de pension. A raison de 4 mois par an, ce ne sont pas les baby boomer qui seront les plus concernés mais les suivants directs.
  • 6. Une taxe supplémentaire sur les retraites chapeau est instituée. elle s’appliquera tout de suite et sera payée par les bénéficiaires. C’est peut-être la seule mesure qui touchera les plus âgés avec effet immédiat. le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle fait consensus.
  • 7. Quant aux jeunes, ceux qui ont 10 ou 20 ans, ceux qui peineront à entrer sur le marché du travail et plus encore à y rester, ceux qui vivront encore longtemps chez leurs parents  faute de pouvoir se loger ailleurs, ceux dont les dépenses de formation seront mangées par le poids des dépenses de santé de leurs ainés, ceux qui ne liront pas le document du gouvernement, inutile de leur parler de retraite… puisqu’ils iront travailler en chine.
  • projet retraite

Retraites : le projet du gouvernement

Mercredi 16 juin 2010


[ 16/06/10  - 08H39  - Les Echos  - actualisé à 08:50:01  ]

Le relèvement de l’âge légal de départ a été fixé à 62 ans, à partir de 2018.

Les Echos

Le dossier de la réforme des retraites franchit une nouvelle étape, avec l’annonce par le gouvernement du contenu de son projet de loi, mercredi matin. Les derniers arbitrages en suspens ont donc été tranchés hier soir, lors d’une réunion rassemblant Nicolas Sarkozy, François Fillon et Eric Woerth. « Notre objectif est de parvenir à un déficit zéro en 2018 », a prévenu Eric Woerth mardi en démarrant sa conférence de presse.

DEPENSES

· Le relèvement de l’âge légal a été fixé à 62 ans. Les modalités pour y parvenir : un allongement d’un quadrimestre (quatre mois) par classe d’âge (par an). Le seuil de 62 ans sera ainsi atteint en 2018, pour les assurés nés en 1956. cette mesure phare est chiffrée à 19 milliards d’euros d’économies.

· L’âge à partir duquel le salarié bénéficie d’une retraite à taux plein, sera lui aussi progressivement rehaussé, de 65 à 67 ans.

· La durée de cotisation sera portée à 41 ans et 1 trimestre en 2013 et à 41,5 ans en 2020.

· « Dans la fonction publique, toutes les bornes d’âge bougeront de deux ans également », a averti Eric Woerth.

· La réforme s’appliquera également dans les régimes spéciaux : le relèvement débutera à partir du 1erjanvier 2017.

· Pénibilité : retraite à 60 ans à taux plein quels que soient le nombre de trimestres, pour les salariés concernés. Ce droit « sera accordé de manière individuel », a prévenu le ministre du Travail. Ce qui devrait heurter les syndicats, favorables à une définition collective.

RECETTES

4,4 milliards d’euros prélevés à l’horizon en 2018, sur les hauts revenus, les revenus du capital et les entreprises.

· La contribution des plus riches. L’exécutif a choisi de relever la dernière tranche d’impôt sur le revenu, de 40 % à 41 % par exemple dans le cadre une contribution exceptionnelle, ce qui impliquerait une hausse d’impôt pour près de 1 % des foyers fiscaux (soit 350.000 environ), déclarant plus de 69.783 euros par part. Son rendement immédiat sera de 230 millions d’euros.

· Les stock options et les retraites chapeaux voient leur taxation alourdie.

Les stock-options seront taxés davantage, ce qui doit rapporter 70 millions d’euros dès 2011. Les dividendes perçus seront davantages taxés, pour 645 millions d’euros en 2011. Les plus-values seront réintégrés dans l’impôt sur le revenu, ce qui rapporterait 180 millions en 2011.

· Côté entreprises, les treizièmes mois et les primes seront dorénavant prises en compte dans le calcul des allègements de charge. Cela permettrai d’économiser 2 milliards d’euros.

· Emploi des seniors : mise en place d’une aide à l’embauche d’un an pour les chomeurs deplus de 55 ans. Le dévelopement du tutorat sera favorisé.

CALENDRIER

La réforme devrait prendre effet au 1er juillet 2011, afin de permettre de ne pas prendre à défaut les retraités de cette année.

la QPC met la retraite à l’honneur

Dimanche 6 juin 2010

Quel jeune avocat spécialisé en protection sociale n’a pas vu – un jour ou l’autre – arriver dans son bureau un fils ou une fille d’ancien combattant ressortissant des colonies, révolté par la différence de traitement fait entre son père et un autre retraité français. Une injustice, doublée d’une humiliation, qu’il était définitivement impossible de corriger.    Quel jeune avocat ne s’est pas perdu dans le dédale des textes législatifs et réglementaires pour finir invariablement par se cogner contre cette évidence : un texte de loi avait cautionné une différence caractérisée de traitement, uniquement basée sur la nationalité.  Enfin, la QPC est venue et, enfin, il a été possible de faire bouger une situation figée depuis trop longtemps…. mais pour si peu de chose.

 Le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État, a rendu, le 28 mai dernier, ses deux premières décisions dans le cadre du dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité . Elles portent sur la « cristallisation » des pensions de retraite des ressortissants des ex-colonies françaises ainsi que sur le monopole de représentation détenu par l’Union nationale des associations familiales (Unaf) auprès des pouvoirs publics. Certaines dispositions du régime des pensions applicable aux ressortissants des pays et territoires autrefois sous souveraineté française et, en particulier, aux ressortissants algériens, ont été déclarées inconstitutionnelles. La demande de l’Unaf a en revanche été rejetée.

Pensions des ressortissants des anciennes colonies

Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions légales comme étant contraires au principe d’égalité : l’article 26 de la loi de finances rectificative pour 1981, l’article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 et l’article 100 de la loi de finances pour 2007. Les conditions de revalorisation des pensions de retraite issues des dispositions précitées, distinctes de celles prévues par le Code des pensions civiles et militaires de retraite, conduisaient à une différence de traitement entre les pensionnés étrangers résidant à l’étranger à la date de liquidation de leurs droits, et les ressortissants français résidant dans le même pays étranger. Or, selon les sages, « si le législateur pouvait fonder une différence de traitement sur le lieu de résidence en tenant compte des différences de pouvoir d’achat, il ne pouvait établir , au regard de l’objet de la loi, de différence selon la nationalité entre titulaires d’une pension civile ou militaire de retraite payée sur le budget de l’État ou d’établissements publics de l’État et résidant dans un même pays étranger ». Les articles 26 de la loi de 1981 et 68 de la loi de 2002 sont donc censurés. Il en va de même de l’article 100 de la loi de finances pour 2007 qui faisait apparaître une différence de traitement injustifiée , fondée sur la nationalité, entre Algériens et ressortissants des autres pays et territoires sous souveraineté française. L’abrogation de ces différents textes, qui concernent en particulier les anciens combattants des ex-colonies, ne prendra effet qu’à compter du 1erjanvier 2011 , le temps pour le législateur de prendre de nouvelles mesures.

Monopole de l’Unaf

L’article L. 211-3 du Code de l’action sociale et des familles, qui habilite l’Unaf et ses unions départementales à représenter les familles auprès des pouvoirs publics, a été jugé conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis, contrairement à ce que prétendait l’Union des familles en Europe (v. Bref social n°15588 du 12avril 2010) . Cette disposition ne porte atteinte ni à la liberté d’expression , ni à la liberté d’association . Elle ne limite aucunement la liberté des associations familiales de faire connaître leurs positions, de se regrouper ou de choisir d’adhérer ou non à l’Unaf et aux Udaf. Elle ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité, l’Unaf et les Udaf n’étant pas, compte tenu de leurs missions et de leurs règles de formation, de fonctionnement et de composition, dans une situation identique à celles des autres associations qui peuvent y adhérer.

Cons. const., déc. nos 2010-1 et 2010-3 QPC du 28 mai 2010

réforme de retraites

Lundi 17 mai 2010

Voici le document d’orientation communiqué ce matin par le gouvernement en vue de la réforme des retraites qui sera votée cet été.                                                            réforme des retraites

L’âge d’or des jeunes retraités

Vendredi 7 mai 2010

Entretien avec Louis Chauvel

par Nicolas Duvoux & Audrey Williamson [09-04-2010]

Domaine : Société

Mots-clés : emploi | syndicalisme | solidarité | retraites | réforme

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Dans cet entretien, Louis Chauvel envisage la réforme des retraites sous l’angle de ses enjeux démographiques généraux. Il scrute les inégalités entre les cohortes qui accèdent au statut de retraité et relève la situation très favorisée des baby-boomers. La conjoncture exceptionnelle que ces derniers ont connue annonce une dégradation rapide à partir de 2015.

Sommaire des questions :

Contrats collectifs : le juge désavoue la DSS

Vendredi 30 avril 2010


Dans un jugement rendu le 8 avril, le tribunal des affaires sociales (Tass) de Nanterre a pris le contre-pied de la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) sur la définition d’une catégorie objective de salariés.

Le Tass de Nanterre a jeté une belle pierre dans le jardin de la Direction de la Sécurité sociale (DSS). Prenant le contre-pied de la circulaire du 30 janvier 2009 définissant les modalités d’exonérations des contrats collectifs. Tout en rappelant qu’« une circulaire n’a pas de caractère obligatoire et ne s’impose pas au juge », le Tass a estimé que, dès lors que le régime de retraite de cette entreprise bénéficiait bien « à la totalité » des quelque 2000 cadres « présents et à venir relevant des catégories » concernées, son « caractère collectif », au sens de l’article L. 911-1 du Code de la sécurité sociale, était avéré. 

André Masson, Des liens et des transferts entre les générations, un livre à lire…

Mercredi 14 avril 2010

André Masson, Des liens et des transferts entre les générations, Paris, Éditions de l’EHESS, 2009, 464 p.

En se plaçant résolument du côté des pensées et des conceptions du lien intergénérationnel, et non des pratiques d’entraide elles-mêmes, André Masson nous invite à explorer les regards publics portés sur les solidarités privées au sein des sociétés contemporaines. Niées, encouragées ou dénoncées, ces solidarités témoignent, quant à la place et la légitimité qui leur sont accordées tout au long de la vie, de profondes et structurantes lignes de clivage au sein des politiques publiques européennes. La trilogie qu’il propose éclaire ainsi les philosophies libérales, sociales-démocrates et conservatrices dans leur façon d’envisager la place de l’individu au sein du lien de filiation, et plus largement dans la succession des générations – non seulement présentes, mais à venir. Son ouvrage se lit donc comme un dévoilement des pensées du lien familial, reliées à des conceptions plus larges du social et des interactions entre l’État et la famille dans la régulation des rapports d’âge et de générations. Cette mise en jonction ouvre une avancée scientifique majeure dans la conceptualisation des dites « solidarités » entre générations, ainsi que dans la compréhension socio-économique des philosophies sociales dominantes en Europe.

Aux fondements du lien intergénérationnel

Soutenir financièrement ses enfants, aider ses parents devenus dépendants : comment comprendre les réciprocités à l’œuvre dans le lien de filiation ? Une des originalités de l’ouvrage réside dans l’approche résolument interdisciplinaire qu’il propose, croisant les apports de la sociologie, de l’anthropologie et de la philosophie au service d’une conceptualisation économique des échanges entre générations : son objet initial est de mettre à l’épreuve d’une démonstration théorique rigoureuse – et riche de ce décloisonnement disciplinaire – les principaux modèles économiques cherchant à rendre compte du lien intergénérationnel.

C’est ainsi à la lumière de l’approche anthropologique sur les réciprocités directes et indirectes à l’œuvre dans le don qu’il éclaire les limites empiriques des modèles économiques « standard » réduisant les transferts familiaux soit à un échange où règne une équivalence formelle, soit à un altruisme spontané. Sont notamment soulignés les paradoxes du modèle de Becker – économiste libéral prônant pourtant une coopération altruiste et mutuellement avantageuse entre générations –, affiné au profit d’une analyse économique de la famille générationnelle en termes de solidarités imbriquées, et de la construction d’un modèle « multi-solidaire » prenant en compte les réciprocités indirectes.

Les contours de cette « famille générationnelle » dessinent une triangulaire d’échanges potentiels entre plusieurs générations, prioritairement régulés par des mécanismes de réciprocité indirecte, c’est-à-dire par la répétition du même type de transfert le long de la chaîne générationnelle. Cette réciprocité indirecte peut être soit descendante – donner à la génération suivante ce que l’on reçoit de la précédente –, ou ascendante – donner à ses parents ce que l’on reçoit de ses enfants. Ce modèle s’affranchit donc du postulat d’une famille sous-tendue par un principe d’équivalence exclusive et directe du don et du contre-don (« je donne à mes parents exactement ce que je reçois d’eux, et inversement »), qui dominait les théories économiques des échanges entre générations. Dans une tentative de modélisation unifiée des comportements de transferts intergénérationnels au sein des familles françaises, André Masson complète sa grille de lecture d’une tendance à la polarisation « vers l’aval » de cette réciprocité indirecte – on donne à ses enfants ce que l’on a reçu de ses parents –, qui lui permet de rendre compte de la prévalence de transferts prioritairement descendants, tournés vers les jeunes générations.

« Trois mondes » du lien familial

Loin de se réduire à une théorie économique des échanges et des transferts entre générations, l’ouvrage insère ces différentes formes de réciprocités possibles au sein de la famille intergénérationnelle dans une grille de lecture plus large présentant les diverses façons de penser la place de l’individu dans le lien filial et social. Et c’est là que réside, du point de vue du sociologue, l’un des apports les plus novateurs de l’ouvrage, à savoir une lecture élargie des philosophies économiques et sociales des rapports entre générations, et l’éclairage du relatif impensé familial de la célèbre typologie du sociologue danois Gøsta Esping-Andersen, qu’il complète, approfondit et prolonge, sans pour autant la remettre fondamentalement en cause. André Masson prend ainsi appui sur ses trois « mondes » initiaux du capitalisme, clivés en fonction du « pilier » perçu comme prioritaire dans la régulation des dépendances sociales (l’État, le marché ou la famille), pour analyser plus avant la façon dont ces philosophies – respectivement sociale-démocrate, libérale ou conservatrice – pensent les liens et les justes transferts entre les âges et les générations.

La typologie ainsi renouvelée met notamment en valeur l’importance de la légitimité perçue des « retours familiaux » – c’est-à-dire le bienfait supposé ou non des transferts descendant les générations, des grands-parents ou des parents vers les enfants – comme facteur de différenciation, point de clivage jusqu’ici sous-estimé dans la comparaison des politiques sociales. Ce prolongement théorique et conceptuel concourt à une compréhension plus aigue de ces philosophies, en ce qu’il met en jonction les relations État-famille à différents âges – éducation et retraite notamment – et leur empreinte possible sur les destins individuels et générationnels.

Citoyenneté, équité ou solidarité : la trilogie se mue en autant de principes fondateurs de justice entre les générations, clivant les philosophies respectivement libérales, sociale- démocrates et conservatrices et leur façon de penser la place de l’individu dans le lien filial et la légitimité des solidarités familiales. André Masson aborde ce triptyque par la maxime républicaine « Liberté, égalité, fraternité », appliquée respectivement aux trois façons de concevoir ce lien.

Liberté, égalité, fraternité : les trois philosophies du lien entre les générations selon André Masson

La philosophie libérale – dite du « libre agent » – repose sur la confiance exclusive faite au marché dans la régulation des multiples dépendances au fil des âges, tout en prônant une responsabilité individuelle élargie – notamment des parents sur leurs enfants. L’État entretient une neutralité ambiguë vis-à-vis des solidarités familiales : il s’interdit d’intervenir sur ce qui est censé relever de la sphère privée, mais tente cependant de limiter les « retours familiaux » descendant les générations. La transmission patrimoniale est en effet prioritairement pensée comme un transfert capitaliste qu’il faut attirer hors du cadre familial, vers la sphère sociale (fondations, épargne d’investissement, etc.). Au nom de la préservation d’une équité minimale entre les âges, les transferts d’État doivent donc se limiter aux jeunes, mais de façon résiduelle, afin de limiter le risque d’assistance.

La philosophie sociale-démocrate – dite « de l’égalité citoyenne » – privilégie l’État dans la régulation des dépendances au cours de la vie, et prône la défense d’une citoyenneté universelle dès les plus jeunes âges, couvrant même les successeurs à venir. Elle se caractérise par une méfiance généralisée envers les solidarités entre générations, considérées tout à la fois comme inefficaces, inéquitables et arbitraires. L’État peut donc se substituer avec bonheur aux familles, par un volume élevé d’intervention – couplant transferts financiers et services à la personne – ayant pour objectif de limiter le risque de pauvreté, et ce à tous les âges, mais avec une priorité mise sur les jeunes : il se méfie en effet particulièrement des retours familiaux descendants, perçus comme pervers et inégaux.

La philosophie conservatrice – ou « multi-solidaire » – se distingue au contraire par laconfiance faite aux solidarités familiales, valorisant l’altruisme parental ainsi que les solidarités imbriquées à différents échelons (pas uniquement familial, mais aussi professionnel, local, national, etc). Les solidarités intergénérationnelles sont considérées comme plus efficaces que l’État, qui va donc se porter garant du maintien de ces rapports de coopération mutuelle, et de l’insertion de l’individu dans cette « chaîne » protectrice des générations. Les « retours familiaux » sont considérés comme optimaux et parés de vertus ; la complémentarité entre l’État et la famille est jugée efficace, dans un partage défini des rôles : les aides financières – relativement volumineuses – doivent être versées en priorité aux aînés et aux parents, afin qu’elles puissent « redescendre » les générations dans le cadre familial, et éviter ainsi l’exclusion par la désaffiliation.

Politiques des générations

On comprend ainsi mieux la fortune du mot « solidarités » en France et au sein des modèles continentaux, héritiers que nous sommes d’une philosophie sociale qui inscrit l’individu dans une « chaîne générationnelle », et donc la vigueur des débats, tant théoriques que sociaux, que la redistribution entre générations est susceptible d’engendrer. Au contraire, niée mais socialement induite, la solidarité familiale apparaît comme le point aveugle de la pensée libérale, où elle est considérée comme relevant uniquement de la sphère privée –autrement dit, il revient à l’individu libéral de protéger les siens – et donc non prise en compte par l’État : la relative familialisation implicite à l’œuvre dans les sociétés libérales prend ainsi sens. Cette mise en perspective éclaire aussi la propension distinctive des philosophies sociales-démocrates, dans leurs logiques d’arbitrages entre les âges – notamment en période de crise – à privilégier les dépenses directes envers les plus jeunes sur les dépenses directes envers les personnes âgées, au regard notamment des transferts familiaux descendants, considérés comme inégaux et arbitraires, qu’elles pourraient induire.

S’il en éclaire les principes fondateurs, l’ouvrage n’a pas prétention à analyser les politiques effectives ni leur traduction politique ou familiale, mais la tentation y affleure, par certains parallèles, d’opérer des allers-retours entre les pensées sociales, leur incarnation politique et les pratiques qu’elles induisent. Dans ce cheminement de pensée, un dialogue constructif avec une sociologie comparée du lien familial pourrait orienter les réflexions de l’auteur de la construction à la réception des politiques publiques, susceptible d’intégrer les normes, les logiques d’échange et les cultures éducatives au sein desquelles elles s’inscrivent, et entrent parfois en tension. Au delà des seules pensées sociales, la nature effective des interrelations entre État et famille passe par la médiation sociale et culturelle des mesures et des pratiques, souvent sous-investies dans les perspectives de socio-économie comparée.

Déjà esquissé, un élargissement de la focale du lien filial vers le lien conjugal, et la façon dont ils sont respectivement pensés et articulés au sein des différentes philosophies sociales, permettrait d’intégrer les dynamiques sexuées à l’œuvre dans les échanges et transferts familiaux, et de mettre en lumière la cohérence des principes politiques d’équité d’âge et d’équité de genre. La spécificité d’une éventuelle pensée « familialiste » pourrait ainsi être mise à l’épreuve : la solidité empirique de la division qu’opère André Masson en trois pensées dominantes – rappelons que Esping-Andersen, dans le prolongement des critiques féministes, avait ajouté un quatrième modèle familialiste – est convaincante dans le cas des liens entre générations ; elle mériterait d’être interrogée plus avant sur des points de jonction, juridiques ou politiques, entre l’inscription verticale dans les liens de générations et l’inscription horizontale dans les liens de couple.

L’ouvrage met in fine en lumière les enjeux contemporains d’une politique générationnelle : il offre de remarquables clés de lecture sur les multiples conceptions –scientifiques et politiques – de la justice entre les âges et les générations, et du rôle de l’État en la matière. L’économiste engagé ouvre des pistes inspirées de défense de la pensée « multisolidaire », dont nous sommes héritiers, vers une imbrication plus fine des différents modes de solidarité et d’une famille générationnelle soutenue par l’État. Il offre également une mise en perspective et une compréhension approfondie des choix politiques possibles sur la question sociale des transferts entre les âges face aux effets conjoints du vieillissement et du durcissement des difficultés d’entrée dans la vie active, en France et en Europe ; ouvrage érudit et engagé, il en éclaire tout à la fois les principes fondateurs, les arguments contraires, et les enjeux sociaux.

par Cécile Van de Velde [08-01-2010] (laviedesidées.fr)