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PLUS AVEC MOINS…

Vendredi 7 avril 2017

Il n’y a pas de relation claire entre le niveau total des dépenses publiques et le bonheur moyen déclaré par les citoyens. Pour rendre les Français heureux, il faut améliorer la qualité des services publics.

En matière de dépenses publiques, les candidats à la présidentielle ont des préconisations aux antipodes. Entre les 100 milliards d’euros d’économies au terme du quinquennat proposées par François Fillon et le méga-plan de relance de 273 milliards d’euros (dont 100 milliards pour un plan d’investissement) imaginé par Jean-Luc Mélenchon, le grand écart est manifeste.

Les candidats s’opposent sur le remède à apporter aux maux français (une croissance faible et un taux de chômage structurel élevé) à la manière des joutes entre économistes keynésiens et néoclassiques. Les premiers croient aux vertus de la relance quand les seconds la considèrent au mieux comme inutile.

D’un côté, il y a la foi dans le multiplicateur des dépenses publiques (un euro de dépenses publiques augmenterait de plus d’un euro le produit intérieur brut), de l’autre l’idée que les dépenses publiques seront compensées par moins de dépenses privées de la part d’agents rationnels et soucieux de l’avenir, surtout lorsque l’Etat est déjà très endetté et que la croissance à long terme est incertaine.

L’impact des dépenses publiques sur le bonheur est aussi peu évident que leur effet sur la croissance. Les recherches en économie du bonheur montrent qu’il n’y a pas de relation claire entre le niveau total des dépenses publiques et le bonheur moyen déclaré par les citoyens.

En haut des classements internationaux selon la satisfaction de la vie, on trouve autant de pays à haut niveau de dépenses publiques (au-delà de 52% du PIB : le Danemark, la Suède, l’Autriche) que de pays ayant des niveaux de dépenses faibles (en-dessous de 37% : la Suisse, l’Australie, les Etats-Unis) ou intermédiaires (la Norvège et les Pays-Bas).

L’influence du niveau de dépenses sur le bonheur est en fait modérée par la qualité de ces dépenses, réelle ou juste perçue par les citoyens. L’effet dépend concrètement de la satisfaction vis-à-vis de l’Etat, de la confiance dans celui-ci et de la perception de son efficacité. Or, la France combine à la fois un niveau de dépenses extrêmement élevé (57% du PIB, au deuxième rang mondial derrière la Finlande) et des indicateurs de qualité des dépenses publiques relativement faibles.

En France, la satisfaction vis-à-vis de services publics comme l’éducation ou le système judiciaire est légèrement inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE. Seul le système de santé suscite une approbation franche, avec un taux de satisfaction de 80%, de 10 points supérieur à la moyenne de l’OCDE.

En matière d’efficacité, un indicateur composite publié par la Banque mondiale place la France dans une position moyenne, loin derrière les meilleurs. De très nombreux pays font mieux avec moins, voire avec beaucoup moins de dépenses (Singapour, la Suisse, la Nouvelle-Zélande). Inversement, il n’existe aucun pays faisant moins bien que la France avec plus de dépenses…

L’anomalie française – des résultats moyens pour des dépenses publiques totales très élevées – disparaît en partie lorsqu’on regarde la structure des dépenses publiques. Malgré l’apparente omniprésence de l’Etat, la France ne se distingue pas par une fonction publique boursouflée. Avec 5,45 millions de salariés (fonctionnaires et contractuels), le secteur public représente environ 20% de l’emploi total en France, soit… un peu moins que la moyenne des pays de l’OCDE !

La fonction publique n’est pas l’armée mexicaine que laissaient présager les chiffres agrégés des dépenses publiques. Et donc, il n’est pas complètement anormal d’obtenir des scores d’efficacité inférieurs aux pays qui ont davantage d’effectifs publics, de l’improbable Royaume-Uni (23% de l’emploi) jusqu’au Danemark (35%).

Au-delà du nombre de salariés du public, ce qui fait enfler la facture pour le contribuable français, c’est le coût unitaire de ces salariés. Selon les standards internationaux, la France paie environ 3% de points de PIB en plus en rémunérations que ce que l’on pourrait attendre au vu de la taille de sa fonction publique. Et autant que la Suède qui a, rapporté à l’échelle, un tiers d’emplois publics en plus !

L’autre spécificité française est le très fort poids des dépenses de retraite dans le panier total des dépenses publiques (un quart des dépenses, soit 13% du PIB). Il traduit un transfert massif des actifs vers les retraités, qui laisse les seniors français dans une situation inégalée en Europe. Les plus de 65 ans en France ont aujourd’hui un revenu net médian équivalent à 101% de celui des 18-64 ans, contre 92% en moyenne dans l’UE et seulement 76% au Danemark.

Au vu de ces différents chiffres, un candidat soucieux de l’équilibre des finances publiques (la France n’a connu que des déficits budgétaires depuis 1975 !) et du bonheur de ses concitoyens devrait diminuer la dépense publique en baissant le coût du travail dans la fonction publique (plutôt que le nombre de fonctionnaires) et en rognant le poste sur lequel la France a une position extrême non justifiable économiquement et socialement : le montant des transferts pour la retraite.

Et parallèlement améliorer la qualité des services publics par des mesures ad hoc et un transfert de dépenses des retraites vers lesdits services publics, un mouvement qui pourrait paradoxalement générer du bonheur chez les seniors. Sur ce point, ce candidat (politiquement courageux) suivrait l’exemple danois : des dépenses publiques élevées mais jugées par tous comme globalement très efficaces car en nature plutôt qu’en espèces. Le Danemark est régulièrement classé comme le pays le plus heureux au monde. Avec des seniors comblés…

Source : Les Echos – Mickaël Mangot
(enseignant à l’Essec et directeur général de l’Institut de l’Economie du Bonheur. Il vient de publier « Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur » (Eyrolles).)