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Retraite supplémentaire : les conditions d’une renaissance ?

Mardi 13 décembre 2016

(Matinée AEF) Par Bénédicte Foucher

Alors que l’Assemblée nationale a définitivement adopté le 8 novembre 2016 la loi Sapin II, qui crée un fonds de retraite professionnelle supplémentaire, et que le Conseil européen a adopté la nouvelle directive relative aux institutions de retraite professionnelle, dite IOPR 2, le cabinet d’avocats Lautrette & Associés, et le cabinet d’actuaires conseil Galea & Associés, en partenariat avec la rédaction d’AEF Protection sociale, ont organisé le jeudi 24 novembre 2016 à Paris une matinée de décryptage pour évoquer les opportunités qui s’ouvrent aujourd’hui pour développer ces dispositifs, dans un contexte notamment marqué par les taux bas et l’entrée en vigueur de Solvabilité 2.

Loi Thomas, institutions de retraite supplémentaire, IORP 1, etc. : « Les rendez-vous manqués pour développer la capitalisation en France sont nombreux », constate Laurence Lautrette, avocate, lors de la matinée AEF organisée le jeudi 24 novembre 2016 par les cabinets Galea & Associés et Laurence Lautrette & Associés. Ceci alors que les personnes vivent de plus en plus longtemps, et que l’âge légal de départ à la retraite est sans cesse décalé. Pourtant, « la retraite, cela ne se vend pas », constate Laurence Lautrette. Pourquoi ? « Parce que cet investissement de long terme colle mal aux réflexes de la société de consommation », que la crise de 2008 a sapé la confiance dans les placements de long terme, que le sujet est compliqué pour les entreprises (lire encadré), et que les taux négatifs ne le rendent pas très attractif. Reste que la retraite supplémentaire est un enjeu important pour la population et un outil de management pour les DRH, maintient Laurence Lautrette. Entre l’adoption de la nouvelle directive relative aux fonds de pension professionnelle, dite IORP 2, et la création des fonds de retraite professionnelle supplémentaire (FRPS) par la loi Sapin II, les conditions d’une renaissance d’un troisième pilier de la retraite sont-elles réunies ?

DES CONDITIONS PLUTÔT FAVORABLES

« Jamais nous n’avons eu autant de conditions favorables et d’écoute sur ces sujets », estime Simon Claverie (Galea & Associés). Il évoque notamment la réforme d’octobre 2015 des régimes Agirc-Arrco, qui « va dans le bon sens pour les régimes supplémentaires », sachant que, via diverses évolutions (euro-croissance, nouveaux régimes en points, unités de compte, nouveaux articles 39, adaptation des rentes, notamment à la réforme Agirc-arrco), « les assureurs n’ont pas attendu pour faire évoluer leurs produits ». Et de détailler les dossiers qui, en plus de l’entrée en vigueur de Solvabilité 2 au 1er janvier 2016, impactent aujourd’hui les entreprises et les assureurs en matière de retraite, afin de mieux appréhender le contexte les structures assurantielles sont amenées à évoluer en France et en Europe.

Voici les principaux dossiers :

- L’accord Agirc-Arrco d’octobre 2015. Il a plusieurs conséquences potentielles pour les régimes supplémentaires de retraite. La mesure AGFF sur la tranche C (1) peut avoir des impacts sur les régimes prévoyant une compensation de la rente Agirc tranche C non perçue entre l’âge de départ à la retraite et l’âge du taux plein. Concernant l’application de coefficients temporaires, les entreprises doivent intégrer les modifications de comportement des salariés, tandis que des études juridiques sont en cours concernant les impacts sur les régimes différentiels, dits « retraites chapeau » et de préretraite. « Il s’agit de savoir si c’est à l’employeur de compenser la baisse des rentes légales », résume Simon Claverie, qui évoque enfin la baisse du rendement technique des régimes complémentaires à 6 % en 2019. « La majorité des impacts de cette réforme ont été pris en compte par les entreprises, néanmoins certains cas complexes sont toujours à l’étude, comme la compensation des coefficients de solidarité par les régimes chapeau », ajoute Virginie Lejeune (cabinet Lautrette).

- L’ordonnance du 9 juillet 2015 sur la sécurisation des rentes qui impose aux entreprises de sécuriser 50 % des engagements relatifs aux rentes déjà liquidées – le taux de sécurisation augmentera progressivement de 10 % (en 2017) à 50 % (en 2030). « La mise en conformité est requise dès 2017″, rappelle Simon Claverie, qui recommande aux entreprises qui ne sont pas encore prêtes de faire « leur inventaire : Quel est le montant de rentes à sécuriser ? Quel mode de sécurisation choisir ? Faut-il passer par un contrat d’assurance ? Un FRPS ? Un contrat de fiducie ? » Les entreprises doivent également étudier l’opportunité d’un changement d’option possible concernant la taxation prévue à l’article L. 137-11 sur les retraites chapeau. Dernier point de vigilance : la nouvelle obligation déclarative aux Urssaf en 2016 – un nouvel état d’information faisant apparaître les engagements totaux et le niveau de sécurisation mis en place devra être fourni par les entreprises aux Urssaf, trois mois après la clôture des comptes. « Certains de nos clients n’ont pris conscience des impacts de l’ordonnance que très récemment », commente Virginie Lejeune.

- L’environnement de taux bas. « Au 31 octobre 2016, la baisse des taux d’actualisation de référence sur 2016 était de l’ordre de 100 points de base en zone euro et au Royaume-Uni, et de 60 points de base aux États-Unis, ce qui engendre une hausse du coût des régimes de retraite pour les entreprises », rappelle Norbert Gautron. Selon le baromètre CAC 40 Galéa & Associés, le montant cumulé des passifs sociaux des entreprises du CAC40 s’élevait fin 2015 à 205 milliards d’euros, couverts en moyenne à 60 %… « Le taux de rendement moyen des fonds généraux des assureurs a diminué de 40 points de base entre fin 2012 et fin 2015, soit un passage de 3,9 % à 3,5 % », ajoute Norbert Gautron (Galéa & Associés), qui explique que plusieurs solutions s’offrent aux entreprises pour limiter l’impact des taux bas, qui passent par l’optimisation de la valorisation des passifs sociaux ou celle des rendements financiers (via notamment une recherche de gestion plus active que celles des fonds euros). « Des stratégies à l’étude dans de nombreuses entreprises, mais que seuls quelques grands groupes auront réellement mis en œuvre à fin 2016″, constate Virginie Lejeune.

- La directive européenne 2014/50 du 16 avril 2014, qui vise à « accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres, en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire ». Elle stipule notamment que la période d’affiliation active nécessaire pour qu’une personne conserve ses droits à la retraite complémentaire sera au maximum de trois ans. « Cela nécessite de repenser les régimes supplémentaires de retraite à prestations définies (article 39) au sein desquels les droits sont acquis à la date de départ en retraite [à droits aléatoires]« , décrypte Laurence Lautrette. Cette directive doit être transcrite d’ici le 21 mai 2018 : des travaux sont en cours à la FFA, à l’Afep, en concertation avec la DSS et Le Trésor afin de définir un nouveau cadre aux régimes article 39 – des textes sont à l’étude sans que rien ne soit arrêté. « C’est un sujet encore difficile à appréhender aujourd’hui, note Norbert Gautron. Au vu du chantier restant et de l’échéance relativement courte, le temps d’assimilation et d’adaptation sera probablement faible pour les entreprises”. Qui devront répondre à des questions importantes, sans réponse à ce jour : quels sont exactement les régimes concernés ? Comment vont évoluer les méthodes de valorisation des engagements ? Quel traitement social et fiscal de ce nouveau cadre ?

FRPS, IPRS ET MURPS

C’est dans ce contexte riche en actualité qu’intervient la création des FRPS, via l’article 114 (ex-article 33) de la loi Sapin 2, votée à l’Assemblée nationale le 8 novembre dernier, dont le but est notamment de réformer le régime prudentiel de la retraite professionnelle. Ces fonds s’inscrivent pleinement dans le cadre de la nouvelle directive relative aux fonds de pension professionnelle, dite IORP 2, qui a été adoptée le 8 décembre 2016 par le Conseil européen – celle-ci doit encore être publiée au Journal officiel de l’Union européenne et entrera en vigueur 20 jours après sa publication et les États membres disposeront de 24 mois pour transposer le texte dans leur législation nationale. Des projets d’ordonnance, de décrets et d’arrêté ont d’ores et déjà été rédigés par le Trésor. Concrètement, les acteurs de l’épargne retraite en France pourront transférer dans ce véhicule – sans y être contraints – leurs activités de retraite d’entreprises (article 39, 82 et 83, contrats Madelin et indemnités de fin de carrière) aujourd’hui inscrites dans leurs bilans.

Comme le précise le projet d’ordonnance (lire le détail sur AEF), le FRPS sera une personne de droit privé, prenant la forme d’une société anonyme, d’une société d’assurance mutuelle, d’une institution de prévoyance (on parlera alors d’IRPS) ou d’une mutuelle (« MURPS »). Il pourra recevoir les contrats « ayant pour objet la fourniture de prestations de retraite liées à une activité professionnelle et versées en complément des régimes obligatoires » (indemnités de fin de carrière, article 83 et 39, plans d’épargne retraite d’entreprise, Madelin). Et en résumé, sera soumis à un régime prudentiel quantitatif proche de Solvabilité 1, avec des tests de résistance spécifiques, et des règles de gouvernance, d’investissements, et de reporting proches de Solvabilité 2. Une fois que ces textes seront définitivement arrêtés, le projet d’ordonnance sera transmis au Conseil d’État pour une publication attendue courant du premier semestre 2017. Dès lors, les assureurs pourront présenter un dossier d’agrément au régulateur portant création d’un FRPS. Les premiers fonds devraient voir le jour au plus tôt début 2018.

DISCUSSION SUR LES TESTS DE RÉSISTANCE

Un point continue de cristalliser les discussions entre l’ACPR et la direction générale du Trésor, à savoir le paramétrage des tests de résistance associés aux FRPS. D’un côté, le Trésor milite pour une version simplifiée là où l’ACPR préconise une mouture plus exigeante au plan prudentiel. « Nous essayons de trouver le juste milieu », rapporte Bertrand-Boivin Champeaux, directeur prévoyance et retraite supplémentaire du CTIP, qui reconnaît que l’appétence pour ce nouveau véhicule dépendra de ce qui ressortira de cette discussion, ainsi que du cadre fiscal (lire encadré) : « Il faudra essayer de nous mettre à égalité avec les autres pays ; nous commençons juste à aborder le sujet ». Globalement, il porte un regard positif sur cette réforme, qui devrait au moins permettre « un maintien des activités de retraite dans notre pays ».

« Avec les FRPS, l’État prend enfin les choses en main en France, où il est très difficile de parler retraite », abonde Florian Gauthier, responsable juridique adjoint, épargne salariale et retraite chez Amundi – où a été conçu un fonds de pension pour s’adapter aux contraintes réglementaires de plusieurs pays d’Europe. « La volonté de sortir du carcan franco-français est là, même s’il aurait été possible d’aller plus loin”, poursuit-il. Et de craindre que la structure FRPS ne soit ni assez souple (dans le cadre d’activités transfrontalières par exemple), ni assez attractive par rapport à d’autres outils européens. Lui aussi estime « que le sujet de la fiscalité sera décisif ».

« L’OCCASION DE PARLER RETRAITE »

Laurence Lautrette se veut pourtant optimiste. « Ces FRPS sont une excellente occasion de parler à nouveau du sujet de la retraite ». Même si plusieurs questions restent selon elle en suspens : quelle est la promesse ? Qui porte le risque si elle n’est pas tenue à qui appartient l’institution ? Et ses fonds ? Comment s’articule la relation entre le bénéficiaire, le porteur de risque ? Comment garantir les droits ? À qui appartient l’agrément, surtout dans le cas d’une mutuelle ou d’une institution de prévoyance ? Etc. « Aujourd’hui, il n’a pas de réponse toute faite à la question : ‘faut-il y aller ou pas ?’, résume Norbert Gautron. Si, sur le principe, la création de ces fonds est une très bonne chose, les assureurs comme les entreprises doivent examiner de près les opportunités et les risques. Et de détailler ces derniers…

…pour les assureurs…

… et les entreprises.

L’enjeu central de la fiscalité

Bernard Mermillon, avocat, associé gérant SCP Mermillon Rault, a tenté de décrypter ce que devrait être le cadre fiscal des FRPS, en distinguant :
les quasi « certitudes fiscales liées la nature de l’activité », à savoir une activité assurantielle de retraite supplémentaire ;
les incertitudes fiscales liées, au niveau du fonctionnement de l’organisme, à la forme juridique, et au caractère lucratif ou non du fonds : « ira-t-on faire le régime normal applicable aujourd’hui en France ? Vers celui dit des associations pour certains fonds ? Ou vers la création d’un régime normal spécifique au fonds afin d’acquérir une véritable attractivité en Europe ? », s’interroge en conclusion Bernard Mermillon ;
et enfin les incertitudes en matière de transfert de portefeuilles existant et qui sont subordonnées au passé fiscal de l’apporteur, à la forme juridique, au contrôle de l’ACPR et au caractère lucratif ou non du « fonds » : « Les plus-values latentes verront-elles leur taxation différée ? La neutralité fiscale attachée à certaines provisions et certains actifs et qui bénéficiaient aux mutuelles et IP restera-t-elle acquise à l’organisme qui recevra les portefeuilles de contrats retraite ? »