Archive pour décembre 2011

Conventionnement mutualiste. la Mgen entend poursuivre cette pratique

Vendredi 16 décembre 2011

La Mgen réagit, vendredi 16 décembre 2011, à l’occasion d’une conférence de presse, à son assignation par Alain Afflelou devant le tribunal de grande instance de Paris. L’opticien intente en effet un procès à la mutuelle pour sa pratique des remboursements différenciés dans le cadre de sa politique de conventionnement avec les opticiens. « Nous ne modifierons pas notre pratique du conventionnement, notre volonté est même de l’étendre », a expliqué Thierry Beaudet, président du groupe Mgen. « Les renoncements aux soins progressent. Notre préoccupation est de garantir l’accès aux soins. Nous sommes fondés à le faire, en premier lieu sur l’optique et le dentaire, où nous sommes les acteurs principaux. « Pour Alain Afflelou au contraire, le conventionnement en réseau fermé pratiqué par la Mgen sur l’optique contrevient au « principe fondamental » du libre choix du praticien par le patient.

Depuis 2008, la Mgen conventionne 1 900 opticiens qui s’engagent sur une qualité de prestations, sur une maîtrise tarifaire (dans 90 % des magasins agréés, le reste à charge est nul pour les adhérents Mgen) ou encore la pratique du tiers payant intégral. En contre-partie, la Mgen promet « 1 à 1,5 adhérent Mgen par jour et par magasin ». Ce réseau de conventionnement est fermé : tous les opticiens qui le souhaitent ne peuvent y entrer. Les opticiens Afflelou représentent 1 % des opticiens conventionnés par la Mgen : la plupart « ne répondent pas à la charte qualité de la Mgen », indique Marie-Noëlle Pellegrin, directrice du développement et du réseau.

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 18 MARS 2010

L’assignation de la Mgen par Alain Afflelou, que s’est procuré l’AEF, se fonde à la fois sur le code de la Mutualité et sur le Code de la santé publique. Elle se réfère à un arrêt de la Cour de cassation du 18 mars 2010 qui censure l’existence de « différences dans le niveau des prestations », en se fondant sur le code de la Mutualité. L’article 112-1 du code de la Mutualité indique en effet que les mutuelles « ne peuvent moduler le montant des cotisations qu’en fonction du revenu ou de la durée d’appartenance à la mutuelle ou du régime de sécurité sociale d’affiliation ou du lieu de résidence ou du nombre d’ayants droit ou de l’âge des membres participants ».

À la suite de cet arrêt de la Cour de cassation, la Mgen, soutenue par la Mutualité française, s’est employée à obtenir du législateur une modification du code de la Mutualité : c’était chose faite avec la loi Fourcade, adoptée le 13 juillet 2011, dont l’article 54 prévoyait notamment une expérimentation sur trois ans des remboursements différenciés par les mutuelles. Cet article a finalement été censuré par le Conseil Constitutionnel, vendredi 5 août 2011, car la Cour a jugé qu’il n’avait « pas de lien, même indirect, avec la proposition de loi initiale ».

Mais pour Alain Afflelou, le conventionnement optique pratiqué par la Mgen viole également le principe du libre choix du praticien par le patient, établi par l’article L.1110-8 du Code de la santé publique. Or « le fait pour un assureur, qu’il soit dans le secteur marchand ou mutualiste, d’imposer à son assuré/adhérent le choix d’un opticien avec lequel il a conclu une convention constitue une atteinte caractérisée » de ce principe. Car « il ne peut être objecté que l’assuré dispose du choix de choisir un autre opticien. En effet, les contraintes financières imposées par l’assureur sont de nature à limiter de façon drastique ce choix, notamment pour les catégories de consommateurs qui ne peuvent envisager de garder à leur charge une partie des frais d’optique médicale ».

Pour appuyer son argumentaire, Alain Afflelou prend pour exemple le préjudice subi par un de ses magasins situé à Cergy Pontoise (Val d’Oise), dont le précédent exploitant était conventionné par la Mgen. La convention a cessé le 31 décembre 2010, et le chiffre d’affaires du magasin avec les adhérents de la Mgen a fortement chuté : en 2010, le magasin a réalisé un chiffre d’affaires de 22 644 euros avec 149 dossiers adhérents de la Mgen ; mais depuis janvier 2011, il n’a conclu que 43 contrats avec des adhérents de la Mgen, pour un chiffre d’affaires de 4 638,99 euros.

QUESTION PRÉJUDICIELLE POSÉE À LA CJUE

Depuis mai 2011, la mutuelle a été assignée dans 15 autres procédures, cette fois à l’initiative d’adhérents, qui mettent en cause son conventionnement dentaire. Trois décisions sont conformes à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mars 2010, et lui sont donc défavorables. À chaque fois, la mutuelle se pourvoit en cassation. Deux autres décisions lui sont plus favorables : une est en opposition avec l’arrêt de la Cour de cassation et lui donne donc raison ; dans une autre, le tribunal a suspendu sa décision et saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour poser la question préjudicielle de la conformité de l’article L 112-1 du code de la Mutualité au droit européen. « Il s’agit de vérifier si cet article n’instaure pas une distorsion de concurrence entre les opérateurs d’assurance, ce que nous pensons, » explique Christèle Delye, responsable de la coordination juridique de la Mgen. « On considère comme un grand succès que la question préjudicielle soit posée » à la CJUE, commente Thierry Beaudet. (source AEF)

Générations & investissement (6/7) – La nouvelle génération silencieuse (1995-…)

Mercredi 7 décembre 2011

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La nouvelle génération silencieuse (aussi appelée Génération Z) est une génération sociologique qui débute en 1995. Cette génération serait comparable, dans la théorie américaine des générations, à la génération silencieuse de ceux nés entre 1925 à 1945. On n’en sait pas encore assez sur la génération Z pour juger quelle pourra être sa culture, mais on peut se permettre de spéculer quant à sa nature en regardant la génération silencieuse originelle.

Ces générations vivent habituellement une crise massive durant leur jeunesse (exemple : dépression de 1929) qui pourrait être la crise économique mondiale qui a commencé en 2008 et qui se poursuit encore aujourd’hui. Par contre, pour ce qui est de leur emploi, David Foot, dans son livre Boom, Bust and Echo, mentionne que les Silencieux ont eu la vie facile. Bonne nouvelle pour les investisseurs : si la jeunesse de cette génération est marquée par une crise économique majeure, leur vie adulte et celle de leurs enfants (nouveaux boomers) correspond à une longue phase de croissance économique

Coincés entre une génération combative, individualiste, et la prochaine qui ressemblera aux baby-boomers, on verra probablement les « Z » subordonnés aux entreprises gargantuesques des « Y » (genre Facebook) et à la tête des entreprises idéalistes des nouveaux Prophètes (neo-boomers). On peut imaginer que les « Z » vivront dans l’ombre des « Y » un peu comme les « X » l’ont fait vis-à-vis des boomers. Pour rappel, la génération silencieuse est réputée travailler dur et ne pas être revendicative, d’où son nom. On décrit les « silencieux » comme fatalistes et conventionnels. Les leaders de cette génération risquent donc d’être rares. Par contre les qualités de travailleurs et d’économes de cette nouvelle génération risquent d’être fort utiles pour affronter la crise budgétaire qui risque de durer pas mal de temps.

La génération Z aura toujours connu les Technologies de l’information et de la communication. Elle est définitivement celle des infos en ligne. Blogs, sites de partage de vidéos, quotidiens sur Internet, rien n’échappe aux « Z ». Notre prochain et dernier article de cette série sera consacré aux conclusions et conséquences de l’évolution des générations abordées sur l’investissement.

Clause de désignation et appel d’offre : petite mise au point

Vendredi 2 décembre 2011

 

 

Je ne compte plus les clients qui viennent à moi en m’affirmant que l’application des procédures de marchés publics est obligatoire pour les branches qui souhaitent mettre en place ou renouveler leurs couvertures collectives de protection sociale.

C’est rigoureusement inexact, pour la bonne raison que ni la législation ni la jurisprudence (et par plus la CJUE que le juge français) n’exige le recours à la moindre procédure.

S’il est opportun pour le meilleur intérêt des assurés d’organiser une procédure de sélection d’un ou plusieurs assureurs qui soit garante d’un minimum de transparence et de loyauté, il est important d’avoir à l’esprit qu’aucun formalisme n’est requis pour une telle procédure.

 Pour vous en convaincre, je vous met en ligne l’intégralité d’un article que j’ai écrit pour commenter l’arrêt de la CJUE du 15 juillet 2010, paru dans la revue « droit social » en décembre 2010 et qui traite de ce sujet.

 

Clause de désignation et appel d’offre

les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 15 juillet 2010

 

 

 

1. De nombreux accords collectifs professionnels ou interprofessionnels ont introduit des dispositions relatives aux garanties collectives complémentaires de protection sociale au bénéfice des salariés, conformément aux dispositions de l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale.

 

Certains se contentent de définir un socle de prestations, laissant à chaque entreprise entrant dans le champ d’application de l’accord la liberté de rechercher, en fonction des caractéristiques de sa propre population de salariés, les meilleures conditions financières auprès des assureurs du marché. D’autres définissent une obligation de cotiser à un niveau obligatoire minimum, laissant à chaque entreprise le soin de rechercher auprès des assureurs du marché les meilleures prestations possibles.

 

Certains définissent tout à la fois les niveaux de cotisation et les prestations. Dans ce cas, il n’est plus possible de laisser chaque entreprise rechercher les meilleures conditions de couverture en fonction des caractéristiques de sa propre population. Il faut contraindre l’ensemble des entreprises de la branche ou du secteur à adhérer à un seul organisme (ou plusieurs[1]) pour assurer l’ensemble de la population des bénéficiaires de la même couverture dans une même mutualisation qui s’opère entre tous les salariés des entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord : les malades comme les bien-portants, les vieux comme les jeunes, etc…

 

Ces clauses font – de longtemps – l’objet de vives critiques de la part des assureurs qui ne sont pas les plus fréquemment sollicités par les partenaires sociaux, ou bien de la part des entreprises qui rechignent à voir rogner leur liberté de choisir leur propre assureur, ou bien de la part des intermédiaires en assurances. Elles ont nourri une jurisprudence abondante, étayée par une doctrine plus prolixe encore[2].

 

Depuis plus de vingt ans de nombreux arguments ont été soulevés, notamment sur le terrain de la liberté du commerce et de la concurrence, pour tenter d’empêcher le développement de ces clauses dites de désignation, qui vont parfois jusqu’à obliger les entreprises déjà assurées auprès d’un autre assureur à un coût moins élevé et dans des conditions plus favorables, à résilier leur couverture historique (clauses dites de migration[3]).

 

Seules les « exigences de la solidarité[4] », c’est à dire la nécessité de mutualiser des populations plus fragiles avec des populations qui le sont moins, ont conduit la jurisprudence à justifier qu’un opérateur puisse ainsi tarir le marché de ses concurrents et imposer une telle sujétion aux intéressés.

 

A chaque fois que les partenaires sociaux désignent un organisme pour assurer la couverture d’une branche ou d’un secteur, ce sont plusieurs centaines de milliers de salariés qui se retrouvent contraints de cotiser pour une couverture dont ils n’éprouvent pas toujours le besoin ; ce sont plusieurs centaines d’entreprises qui se trouvent dans l’obligation de se plier à la discipline collective et voient réduite leur marge de manœuvre pour construire un dispositif de protection sociale plus adapté ou plus novateur ; ce sont plusieurs centaines d’intermédiaires et quelques dizaines d’assureurs qui voient enfin neutraliser leur relation directe avec leurs entreprises clientes, existantes ou potentielles.

 

Il n’est donc pas étonnant que parmi le feu nourri des critiques, des interrogations s’élèvent sur les conditions dans lesquelles l’assureur retenu est choisi puis reconduit, afin de garantir qu’à tout le moins il était le meilleur opérateur possible dans l’intérêt du plus grand nombre.

 

Force est de constater que sur ce point, les textes sont plutôt maigres.

 

Les articles L. 912-1 et L. 912-2 du code de la sécurité sociale prévoient que lorsque les partenaires sociaux désignent un ou plusieurs organismes pour assurer une couverture mutualisée des garanties collectives obligatoires mises en place par voie d’accords professionnels ou interprofessionnels, ceux-ci doivent comporter une clause fixant les conditions et la périodicité dans lesquelles sont réexaminées, au maximum tous les cinq ans, les modalités d’organisation de la mutualisation des risques et le choix de l’organisme ainsi que des intermédiaires.

 

Aucune obligation ne pèse sur les parties lors de la mise en place de la couverture puisque seule une obligation de réexamen quinquennal est évoquée par le texte. D’autre part, le texte ne dit rien du cadre dans lequel cet examen doit s’opérer et pas d’avantage sur quoi cet examen doit porter, tant les termes employés peuvent prêter à l’interprétation.

 

Concernant les conditions de mutualisation, s’agit-il tout bonnement d’examiner d’un peu plus près tous les cinq ans les comptes du contrat collectif ou du règlement ? Faut-il faire réaliser un coûteux audit complet de l’opérateur par un organisme indépendant (analyse financière de solvabilité, gouvernance, transparence, relations avec les gestionnaires et intermédiaires, respect des chartes diverses éditées par toutes les familles d’assureurs, etc..) ? Faut-il vérifier le degré de solidarité au sein de la population concernée et si oui quels arbitrages peut-on prendre ou ne pas prendre ?

 

S’agissant du choix des opérateurs, à chaque renouvellement les partenaires sociaux se demandent s’ils doivent recourir systématiquement à un appel au marché pour sélectionner un nouvel assureur et s’il doivent respecter les procédures de passation de marchés publics.

 

Jusqu’à présent nul n’a apporté de réponse à ces questions importantes et la pratique s’est déployée d’elle-même, chaque branche apportant sa réponse – plus ou moins fournie – entre pragmatisme et diversité.

 

 

2. C’est la raison pour laquelle l’arrêt rendu le 15 juillet dernier par la CJUE (C-271/08)[5] mérite un examen attentif, car il constitue à notre connaissance la seule décision rendue sur ce sujet.

 

Le droit communautaire en matière de marchés publics a été mis en place par la Directive 89/665/CEE du 21 Décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux.

 

Sur la base de cette directive, trois Directives furent établies[6] puis regroupées au sein de la Directive 2004/18/CE du 31 Mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services[7].

 

Le 18 février 2003, la fédération des associations d’employeurs communaux avait conclu avec le syndicat unitaire des services, une convention collective organisant la constitution de droits à retraite complémentaire d’entreprise au bénéfice de leurs personnels, en désignant pour assurer ces droits, soit les organismes publics d’assurance vieillesse, soit le groupe financier Sparkass, soit les compagnies d’assurance des communes.

 

La CJUE était saisie sur requête de la Commission des Communautés européennes qui reprochait à la République Fédérale d’Allemagne d’avoir laissé des administrations et entreprises communales attribuer les contrats d’assurance retraite aux opérateurs désignés, sans passer par la voie d’un appel d’offres, pour la mise en place de la couverture complémentaire prévue par la convention collective.

 

La République Fédérale d’Allemagne s’est défendue en faisant valoir que les administrations et entreprises communales concernées n’agissent pas en tant que « pouvoirs adjudicateurs » lorsqu’elles remplissent leur fonction d’employeur, que les contrats collectifs visés relèvent de relations de travail et non des contrats publics, que les entreprises agissent comme simple collecteurs de cotisations entre les salariés et les organismes d’assurance, et que l’application du droit des marchés publics dans cette hypothèse est contraire à l’autonomie des partenaires sociaux.

 

Elle invoquait également que le seuil de déclenchement de la réglementation n’était pas atteint car il fallait diviser la masse des cotisations par le nombre de bénéficiaires et qu’en toute hypothèse, elle était impuissante à donner des instructions aux partenaires sociaux.

 

La Cour balaie ces arguments au moyen de développements qui ne sont pas tous exempts de critiques mais qui sont tous riches d’enseignement.

 

D’abord, elle refuse de transposer au droit des marchés publics le raisonnement tenu pour écarter l’application du droit de la concurrence au terme de ses arrêts précités du 21 septembre 1999. Cette position est parfaitement légitime, le droit de la concurrence – européen et français – comporte en lui-même la possibilité d’écarter son application lorsque des éléments objectifs le justifient. Rien de tel n’existe dans le droit des marchés publics.

 

La Cour recherche cependant si le respect des directives marchés publics est conciliable avec la protection du droit fondamental de négociation collective et conclut par l’affirmative. Si les éléments de solidarité identifiés dans les régimes des fonds de pension néerlandais ont pu permettre d’écarter l’application du droit de la concurrence et justifier l’obligation d’adhésion faite aux intéressés, la Cour constate qu’il n’en est pas de même pour les procédures de passation des marchés publics.

 

Elle examine ensuite si les contrats d’assurance concernés relèvent bien des conditions d’application des directives marchés publics. La cour reconnaît auxdits contrats un caractère écrit ; ce sujet pourrait faire question en France car de nombreux régimes de branche sont mis en place sur la seule base de l’accord collectif et de la notice descriptive des garanties remises aux salariés sans qu’un support juridique ne formalise matériellement les relations contractuelles entre l’assureur et la branche.

 

Elle relève que les employeurs doivent assumer directement l’engagement en cas de défaillance de l’assureur et ne peuvent donc être considérés comme de simples intermédiaires entre les salariés et l’organisme assureur. Dés lors, il s’agit bien de contrats à titre onéreux dans lesquels les employeurs trouvent un intérêt économique direct en négociant avec un organisme d’assurance dont la solidité financière leur garantit la bonne exécution de leur engagement. La Cour de Justice des Communautés Européennes avait déjà eu l’occasion de préciser que la contrepartie de la prestation de l’opérateur économique pouvait consister en autre chose qu’un prix[8].

 

Elle relève également que même si les dispositifs de protection sociale sont un éléments de rémunération, le contrat souscrit entre un employeur et une compagnie d’assurance ne peut être assimilé à un contrat de travail dérogatoirement exclu des procédures de passation des marché publics. Elle conclut pour finir à l’application du droit des marchés publics car les seuils de déclenchement définissant la valeur du marché doivent s’évaluer sur le montant total des primes versées.

 

 

3. Quels enseignements peut-on tirer de cette décision ? Que le fait de  désigner des organismes assureurs par la voie d’une convention collective de travail pour assurer les dispositifs de protection sociale au bénéfice des salariés, n’exonère pas les employeurs de respecter le droit des marchés publics lorsqu’ils sont des pouvoirs adjudicateurs.

 

La Cour de Justice des Communautés Européenne avait déjà eu l’occasion de préciser que la notion de pouvoir adjudicateur était indivisible[9] et que lorsqu’un organisme a la qualité de pouvoir adjudicateur tous les marchés qu’il envisage de passer doivent faire l’objet d’une mise en concurrence selon les règles applicables en matière de marchés publics[10].

 

L’apport de la présente décision est important puisque la Cour conclut que rien ne dispense les entreprises communales et administrations concernées d’appliquer les procédures de marché publics et ce alors même que ces administrations et entreprises appliquent à titre obligatoire, dans l’exercice de leur pouvoir d’employeur, des dispositions conventionnelles négociées par l’intermédiaire de leurs représentants dans le cadre d’une négociation collective de travail.

 

Dans le cadre de la présente espèce, la totalité des organismes membres du syndicat employeur était des pouvoirs adjudicateurs soumis au droit des marchés publics. La décision de la Cour revient à contraindre le syndicat représentant les organismes employeurs à soumettre le choix de l’assureur désigné aux procédures des marchés publics. Cependant, la Cour ne dit pas ce qui doit se produire lorsque dans le champ d’application d’une même convention collective coexistent des organismes soumis au droit des marchés publics et des entreprises commerciales qui n’y sont pas soumises[11].

 

La Cour se contente de viser les organismes alors que ce sont leurs représentants qui prennent les mesures de désignation dans le cadre de la négociation conventionnelle. A aucun moment la Cour n’évoque que les syndicats – qu’ils représentent les employeurs ou les salariés – pourraient constituer eux-mêmes des pouvoirs adjudicateurs soumis à l’obligation de respecter les procédures de marchés publics. Il est vrai que la question ne lui était pas posée.

 

C’est dommage car c’est véritablement celle qui se pose aux partenaires sociaux français.

 

 

4. En droit français[12], trois procédures légales sont applicables en matière de marchés publics. La première relève du Code des Marchés Publics qui a un champ d’application strictement limité aux marchés conclus par l’Etat et ses établissements publics administratifs, ainsi que par les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

La seconde relève de l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale, qui soumet les organismes de sécurité sociale aux procédures de passation des marchés publics. La troisième relève de l’Ordonnance n°2005-649 du 6 Juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des Marchés Publics. Cette Ordonnance, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er Septembre 2005, transpose la Directive 2004/18/CE du 31 Mars 2004.

 

En France, il ne fait aucun doute à la lumière de l’Arrêt de la CJUE, qu’une collectivité territoriale désireuse de mettre en place un dispositif de protection sociale au bénéfice de ses agents contractuels soumis au droit du travail devra passer par les procédures de marché public. Il en sera de même d’un établissement public administratif, soumis au droit du travail dans ses rapports avec tout ou partie de son personnel. Ces deux organismes sont indiscutablement des pouvoirs adjudicateurs soumis au code des marchés publics. De même, les organismes de sécurité sociale désireux de négocier, par la voie de leurs représentants, un dispositif de protection sociale pour leurs salariés de droit privé, seront contraints d’en passer par les dispositions de l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale[13].

 

Cependant, le code des marchés publics et l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale ont un champ d’application strictement délimité ; ils ne s’appliquent pas aux représentants patronaux et salariés qui négocient la mise en œuvre d’une couverture collective obligatoire. La question de l’application des dispositions de l’Ordonnance de 2005 peut en revanche se poser, puisque c’est précisément pour se mettre en conformité avec les dispositions communautaires – dont le champ d’application est beaucoup plus large – que le droit interne a mis en place une procédure spéciale pour les marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des Marchés Publics. 

 

L’Ordonnance du 6 Juin 2005 délimite son champ d’application au regard de la notion de « pouvoir adjudicateur » telle qu’elle ressort des Directives communautaires ; elle reprend la définition des Directives de 1992 reprise par la Directive 2004/18/CE du 31 Mars 2004. Les dispositions récentes du droit français peuvent donc valablement s’éclairer des décisions plus anciennes rendues par la CJCE.

 

Les pouvoirs adjudicateurs sont les organismes de droit privé ou public dotés de la personnalité juridique, qui ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, et qui sont dépendants d’un autre pouvoir adjudicateur au sens du code des marchés publics ou de la présente ordonnance (soit leur activité est majoritairement financée par d’autres pouvoirs adjudicateurs, soit leur gestion est contrôlée par d’autres pouvoirs adjudicateurs, soit leurs membres dirigeants sont majoritairement nommés par des pouvoirs adjudicateurs).

 

La jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européenne rappelle depuis 1992 de manière constante le caractère cumulatif des trois critères[14], si bien qu’il faut écarter l’hypothèse qu’une branche puisse être considérée en elle-même comme un pouvoir adjudicateur, faute d’être dotée de la personnalité morale. Encore que l’on puisse observer que la réunion d’un intérêt commun, distinct des intérêts individuels, et d’une organisation capable de dégager une volonté collective pour l’atteindre caractérise en droit français la personnalité juridique[15].

 

Pour leur part, les syndicats et organisations patronales signataires des accords collectifs sont incontestablement des personnes morales de droit privé. Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure ils pourraient se voir appliquer la qualification de pouvoir adjudicateur.

 

Il pourrait valablement être soulevé que la création des syndicats et organisations représentatifs des salariés et employeurs répond à l’objectif de satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial. Depuis longtemps la CJCE a jugé que les partenaires sociaux négociateurs qui mettent en œuvre par voie conventionnelle un régime de retraite complémentaires à but non lucratif poursuivent un objectif social essentiel et remplissent une mission sociale particulière d’intérêt général[16].

 

On peut sérieusement douter en revanche que les syndicats et organisations patronales répondent aux critères de dépendance vis à vis de l’Etat, tels que définis par l’Ordonnance. L’Etat ne nomme pas les membres de leurs organes dirigeants. On ne peut pas dire non plus que les organisations syndicales[17] ou les entreprises mettant en place des dispositifs collectifs de protection sociale bénéficient d’un financement émanant majoritairement de fonds publics, même si ces dispositifs font l’objet d’exonérations sociales et fiscales.

 

La notion de contrôle de gestion pourrait  donner lieu à plus d’interprétation ; la Cour de Justice des Communautés Européennes a déjà montré qu’elle s’attache à une approche « fonctionnelle » de l’organisme, examinant la nature et les conditions d’exercice de l’activité en cause. En d’autres termes, il convient d’examiner si les différents contrôles des pouvoirs publics auxquels sont soumis les partenaires sociaux négociateurs des accords, les placent dans une situation de dépendance dans l’exercice de la négociation, analogue à celle qui résulterait d’un financement public majoritaire ou d’une maîtrise de leurs organes de direction ou de surveillance, car s’il en était ainsi, lesdits pouvoirs publics seraient en mesure d’influencer leurs décisions en matière de marchés publics[18]. La Cour de Justice des Communautés Européennes a eu l’occasion de préciser par la suite qu’un simple contrôle a posteriori ne suffit pas à satisfaire le critère de contrôle de gestion, tant qu’un tel contrôle ne permet pas aux pouvoirs publics d’influencer les décisions de l’organisme concerné en matière de marchés publics[19].

 

Il n’est pas aisé de transposer cette jurisprudence à l’exercice de la négociation collective qui offre cette spécificité que ce ne sont pas les personnes morales négociatrices qui font l’objet d’un contrôle mais les actes émanant de la négociation collective.

 

Il faut distinguer ici différents niveaux de négociation collective, graduant une influence de plus en plus prégnante de la puissance publique : celui de la négociation des garanties collectives complémentaires dans le cadre des conventions et accords professionnels (étendus et élargis sur demande des partenaires sociaux signataires), celui de la négociation des accords nationaux interprofessionnels AGIRC et ARRCO (étendus-élargis, l’intervention de l‘Etat conditionnant leur mise en œuvre) et enfin celui de la négociation des accords relatifs à l’assurance chômage (dans lesquels les partenaires sociaux exercent leurs attributions par délégation de l’Etat).

 

S’agissant de la désignation d’un ou plusieurs organisme assureur dans le cadre de la mise en place de couvertures collectives par voie d’accords professionnels, il n’apparaît pas que les procédures d’extension et d’élargissement prévues par le code du travail – telles qu’elles sont actuellement appliquées – puissent suffire à caractériser une faculté des pouvoirs publics d’influer sur les choix des partenaires sociaux dans l’exercice de leur pouvoir de négociation conventionnelle. Si le refus d’extension peut constituer, de manière informelle, une menace suffisante pour conduire parfois les partenaires sociaux à nuancer leur texte, il n’apparaît pas de nature à caractériser une influence décisive dans la passation d’un éventuel marché public, au sens de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

 

 

5. Seules les personnes morales soumises aux dispositions de l’Ordonnance du 6 juin 2005, supportent une obligation légale de choisir leurs fournisseurs et prestataires par la voie d’une procédure de passation de marché public précisément définie par les textes, en fonction de la taille du marché considéré. Les partenaires sociaux ne supportent pas d’obligation à ce titre lorsqu’ils négocient et confient à un ou plusieurs organismes désignés le soin d’assurer les couvertures collectives qu’ils mettent en place par voie conventionnelle.

 

Cette solution permet aux partenaires sociaux d’échapper aux coûts et aux lourdeurs engendrés par la nécessité de passer par les procédures de marchés publics dont les conditions de transparence ne sont pas nécessairement plus satisfaisantes, dès lors qu’elles peuvent tout autant être tournées.

 

Elle n’exonère cependant pas les négociateurs de leurs obligations quant aux objectifs de solidarité poursuivi par les régimes relevant de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale. Si aucune obligation légale de passation de marché ne pèse sur les partenaires sociaux lors de la mise en place du régime ou de son réexamen, il faut rappeler que l’accord collectif doit prévoir, dès l’origine, une clause définissant les modalités de ce réexamen et que la présence de cette clause dans l’accord est une condition de son extension[20]. Les partenaires sociaux pourraient trouver avantage à étayer les raisons de leurs choix et leurs critères de renouvellement[21], ne serait-ce que pour garantir une sécurité de leur dispositif face aux exigences de la jurisprudence européenne et éviter que le législateur français ne finisse par leur imposer une procédure d’appel au marché plus coercitive[22].




 

[1] La pratique des co-désignations pose nombre de questions juridiques et techniques qui ne sont pas abordées dans cet article

 

[2] Cf notamment, C.Versailles 18 mai 1990 ; C.Paris 5 décembre 1990 : RDSS 1991 p. 465 note D. Thouvenin ; avis du Conseil de la concurrence du 21 janvier 1992 : Droit social 1992 p. 407, obs. J.J. Dupeyroux ; CE 7 juillet 2000 et 19 mai 2008 ;  CJCE Arrêts du 21 septembre 1999 Brentjens, Drijvende Bokken, Albany, Van der Woude dits des « fonds de pension hollandais ».

 

[3] Cass Soc. 10 octobre 2007 ; S. Millet « L’impossible résistance des entreprises aux systèmes obligatoires de mutualisation des risques », JCP Soc, nov 207 p. 11.

 

[4] J.J. Dupeyroux, « Les exigences de la solidarité » : Droit social 1990 p. 742 ; J. Barthélémy, « Solidarité et accords de protection sociale complémentaire » in « Analyse juridique et valeurs en droit social », études offertes à J. Pélissier : ouvrage Dalloz novembre 2004 p. 27 ; « Précis Dalloz de sécurité sociale » 16ème édition de J.J. Dupeyroux, M. Borgetto, Robert Lafore, sous-partie 2 « La protection sociale complémentaire » n° 1457 et suivants.

 

[5] JP. Lhernoud, « négociation collective, monopole des organismes de protection sociale et la CJUE », Liaisons Sociales Europe 2010 n°…, p…

 

[6] Directive 92/50/CE du 18 Juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, Directive 93/36/CE du 14 Juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, Directive 93/37/CE du 14 Juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux.

 

[7] Il existe un régime particulier concernant les opérateurs économiques dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, désormais régis par la Directive 2004/17/CE du 31 Mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.

 

[8] Elle a ainsi considéré comme satisfaisant au critère de l’onérosité le fait qu’une collectivité renonce au versement d’une contribution aux charges d’équipement prévue par la loi et due par un lotisseur au titre de l’octroi du permis de construire en contrepartie de la construction d’un ouvrage (CJCE 12 Juillet 2001 ORDRE DES ARCHITECTES DE LA PROVINCE DE MILAN ET DE LODI, rec. p. 5435).

 

[9] CJCE 18 Novembre 2004 COMMISSION c/ ALLEMAGNE, Contrats et Marchés Publics, Janvier 2005 comm. 6.

 

[10] Contrairement au droit de la concurrence où la jurisprudence, nationale comme européenne, opère une « segmentation des activités » pour déterminer le champ d’application du droit de la concurrence. Cf. les arrêts « COREVA », CJCE 16 Novembre 1995 rec. p 402 et Conseil d’Etat 8 Novembre 1996, RJS 2/97 n°195.

 

[11] Soit les éléments de solidarité mis en œuvre par le régime imposent une mutualisation unique à toute la branche et un pouvoir adjudicateur ne devrait pas pouvoir invoquer le résultat d’une procédure de passation de marchés publics pour adhérer à un autre assureur à des conditions différentes, soit ce n’est pas le cas… et la clause de désignation n’est pas valable (en l’espèce, le dispositif de retraite par capitalisation mis en place ne semblait pas nécessiter de mutualiser à l’échelle de la branche).

 

[12] Cet article doit beaucoup aux patientes recherches de mon collaborateur Dominique Piau, qu’il en soit ici remercié

 

[13] Il en est ainsi pour l’UCANSS.

 

[14]  CJCE 10 Novembre 1998 BFI HOLDING, rec. p. 6846 ; CJCE 10 Mai 2001 AGORA & EXCELSIOR, rec. p. 3626 ; CJCE 27 Février 2003 ADOLF TRULEY, Contrats et Marchés Publics 2003 comm. 94 ; CJCE 22 Mai 2003 ARKKITEHTUURITOIMISTO RIITTA KORHONEN OY, Contrats et Marchés Publics 2003 comm. 168.

 

[15] L. Michoud, « La théorie de la personnalité morale » LGDJ, 1924 – C’est d’ailleurs l’origine des « L4 » aujourd’hui disparues, mais dont nous gardons des traces dans la confusion des rôles qui s’opère entre une Commission Paritaire Nationale et la commission paritaire d’une Institution de Prévoyance de branche, et n’a jamais été éclaircie par le législateur. Si la personnalité juridique était reconnue à la Commission Paritaire qui négocie et met en oeuvre un dispositif de protection sociale, il serait aisé d’identifier avec qui l’assureur doit signer son contrat collectif d’assurance.

 

[16] Cf. Albany et autres préc.

 

[17] La question pourra peut-être évoluer si le législateur prend des mesures relatives au financement des syndicats, comme il en a pris pour les partis politiques

 

[18] ainsi, elle a pu estimer que cette dépendance était caractérisée par l’encadrement très étroit de l’activité des Sociétés Anonymes de HLM tant par la réglementation à laquelle elles sont soumises que par les contrôles pesant sur leur activités et les compétences du ministère à leur égard pouvant aller jusqu’à prononcer la dissolution d’une Société Anonyme d’HLM (CJCE 1er Février 2002 COMMISSION c/ FRANCE, Contrats et Marchés Publics 2001 comm. 64).

 

[19]  CJCE 27 Février 2003 ADOLF TRULEY, Contrats et Marchés Publics 2003 comm. 94.

 

[20] Les dispositions du Titre Ier du Livre IX du code de la sécurité sociale sont d’ordre public (article L. 914-1).

 

[21] Nous partageons sur ce point les observations de J. Barthélémy, cf. « Réflexion prospective sur l’extension des accords de protection sociale », Droit Social 2010, p.182.

 

[22] … peut être inspirée des conditions fixées par le décret n°2007-1373 du 19 septembre 2007 relatif à la participation de l’Etat et de ses établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leur personnel.