Archive pour mai 2013

égalité de traitement : après la cour de cassation voici le tour du conseil d’Etat

Jeudi 30 mai 2013

• 5. Considérant que, contrairement à ce que les confédérations requérantes soutiennent, les dispositions de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale n’imposent pas que les critères objectifs fixés par décret en Conseil d’Etat soient issus d’une négociation collective ; qu’elles ne sauraient utilement invoquer, eu égard à l’objet du décret attaqué, la méconnaissance du droit des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail au motif que la rémunération de chaque salarié fait l’objet d’un accord individuel entre celui-ci et son employeur ;

6. Considérant que le critère des tranches de rémunération fixées pour le calcul des cotisations aux régimes AGIRC et ARRCO, elles-mêmes fonction du plafond de la sécurité sociale, constitue un critère objectif, eu égard à son objet qui est de vérifier le caractère collectif des garanties pour le financement desquelles une exonération de cotisations sociales est accordée, s’agissant essentiellement de garanties destinées à atténuer l’écart existant entre le revenu dont disposait le salarié et le revenu de remplacement assuré par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; que, par suite, il ne méconnaît pas l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ;

7. Considérant que les dispositions critiquées, dont le seul objet est de définir les garanties de retraite ou de prévoyance complémentaire pour lesquelles les contributions des employeurs sont exclues de l’assiette des cotisations sociales, n’ont ni pour objet ni pour effet de déterminer les conditions de la validité des accords ou décisions qui les instituent et sont sans incidence sur le contrôle de celle-ci par le juge ; que le recours au critère des tranches de rémunération n’est pas, par lui-même, de nature à entraîner la méconnaissance du principe d’égalité par un accord ou une décision du chef d’entreprises ; que les confédérations requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que les dispositions qu’elles attaquent seraient contraires au principe d’égalité ;

8. Considérant que les articles R. 242-1-1 et R. 242-1-2 du code de la sécurité sociale disposent également que, pour bénéficier de l’exonération prévue par l’article L. 242-1, certaines des garanties de retraite ou de prévoyance complémentaires peuvent ne couvrir qu’une ou plusieurs catégories de salariés sous réserve que ces catégories, définies à partir des critères qu’il fixe, permettent  » de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées  » ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que la notion d’activité professionnelle serait insuffisamment précise n’est pas de nature à caractériser une atteinte au principe d’égalité ;

9. Considérant que la circonstance, à la supposer vérifiée, que certains des critères fixés par le décret litigieux seraient susceptibles d’entraîner, dans l’hypothèse où ils fonderaient la définition des catégories de bénéficiaires, des modifications fréquentes, au cours de la carrière des salariés, dans les garanties dont ils bénéficient, n’est pas de nature à caractériser une méconnaissance du principe de sécurité juridique par le décret attaqué ;

10. Considérant que si les confédérations requérantes critiquent le manque de précision de plusieurs des dispositions du décret, il n’en résulte pas que celui-ci porterait atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la norme ou, en tout état de cause, au principe de sécurité juridique (CE, 15 mai 2013, n° 357479).

le monde selon Mc Kinsey…

Lundi 13 mai 2013

L’emploi devient une préoccupation majeure dans le monde entier. Selon l’Organisation internationale du travail, il faudrait 600 millions de postes en plus d’ici à dix ans. Qui va les créer ?

C’est une question essentielle de notre époque. Dans un pays comme l’Espagne, le chômage touche plus d’un actif sur quatre, et plus d’un jeune sur deux. Si une telle situation perdure, c’est le capitalisme lui-même qui finira par être rejeté. Il faut agir et c’est la responsabilité des entreprises de prendre les devants, de former, de prendre des jeunes sous leurs ailes, accompagnés par les gouvernements. Ce ne sont pas les pouvoirs publics qui peuvent créer des emplois durables. Mais aujourd’hui, la croissance génère très peu d’emplois. Les dix plus grandes entreprises d’Internet, comme Google, Facebook ou Amazon, ont créé des centaines de milliards de dollars de capitalisation boursière, mais à peine 200.000 emplois. En 2025, l’économie robotisée atteindra la taille de l’économie mondiale toute entière en 1995, et c’est une économie par définition pauvre en emplois. Rien à voir avec ce que firent Ford, Procter & Gamble ou John Deere au XX e siècle.

L’emploi va-t-il alors disparaître ?

Bien sûr que non. Rien qu’aux Etats-Unis, il y a aujourd’hui 3 millions de postes qui ne trouvent pas preneur, alors qu’il y a plus de 12 millions de chômeurs. On manque par exemple d’infirmières, de techniciens en radiologie, d’opérateurs de machines sophistiquées… Il est essentiel de repérer les emplois qui vont se développer, et d’y préparer ceux qui les occuperont. Dans la transition en cours vers ce nouveau monde, la question des compétences est fondamentale. Lors de la révolution industrielle, il était possible de faire venir des paysans dans les usines et leur apprendre en six semaines à travailler sur une ligne d’assemblage. Dans la révolution que nous vivons aujourd’hui, il n’est pas possible d’apprendre en si peu de temps à écrire des lignes de code informatique ! Pour identifier les compétences nécessaires à l’économie du pays dans les cinq ans à venir, Singapour organise une réflexion stratégique à très haut niveau, impliquant des ministres, des chefs d’entreprise, des dirigeants d’écoles technologiques, puis ajuste les cursus éducatifs en conséquence. C’est un tout petit pays, mais on peut s’en inspirer ! Le Brésil a fait un choix stratégique d’investir massivement dans l’agroalimentaire. La France doit elle aussi faire ce travail : déterminer les secteurs dans lesquels ses entreprises ont une chance de réussir. Miser sur l’aéronautique par exemple, mais aussi se dire que des services comme l’éducation sont des secteurs d’avenir. Les Australiens ont compris que l’éducation était une activité économique. Ils en ont fait une priorité et avec 3 millions d’étudiants, l’éducation est devenue la troisième activité exportatrice du pays.

Mais le système éducatif a du mal à évoluer !

Partout dans le monde, le moyen le plus rapide de se faire éjecter d’un gouvernement consiste à vouloir réformer le système éducatif ! Il faut admettre que ce secteur n’a pas changé au même rythme que le monde ces trente dernières années. Il est parfois encore à l’âge de pierre. La salle de classe n’est pas très différente aujourd’hui de ce qu’elle était en 1885. Le mot « kindergarden », qui désigne l’école maternelle aux Etats-Unis, a été forgé du temps de Bismarck. Dans l’éducation, la terminologie a plus d’un siècle ! L’éducation va devoir s’adapter pour faire face au défi des formations. Il faut plus qu’avant décentraliser la formation, miser sur l’enseignement professionnel et la formation tout au long de la vie.

Ce monde sera-t-il plus inégalitaire ?

La technologie avance trois à cinq fois plus vite que le rythme d’évolution des entreprises. La quantité de données à gérer devient colossale. C’est vrai pour toutes les entreprises, y compris McKinsey. En matière de revenus, l’écart va se creuser entre ceux qui maîtrisent la technologie, qui savent manier les masses de données, qui savent aussi se former tout au long de la vie, et les autres.

Les entreprises sont-elles prêtes pour faire face à ces révolutions des technologies ?

Les entreprises vont crouler sous les données numériques. Il faut apprendre à gérer et utiliser cette masse d’informations. Pour réfléchir à ces sujets, mieux vaut faire confiance à des jeunes qu’à des cadres quinquagénaires. J’observe que de plus en plus d’entreprises créent un nouveau poste dans les équipes de direction : un CDO, chief digital officer [un directeur du numérique, NDLR]. Il travaille aux côtés du directeur informatique qui s’occupe des machines, des réseaux et de la productivité, mais n’est pas là pour appréhender les risques et les opportunités de la nouvelle frontière numérique.

Ce monde sera-t-il plus risqué pour les entreprises ?

Une entreprise présente dans l’indice S&P dans les années 1930 y restait quatre-vingt-dix ans en moyenne. Aujourd’hui, cette durée est tombée à dix-huit ans. C’est bien sûr lié aux mouvements de fusions et acquisitions, mais pas seulement. Des groupes disparaissent, d’autres émergent. Dans le Top 10 du classement Fortune 500, il y a maintenant 3 groupes chinois. C’est un signe. Les entreprises changent, les PDG doivent évoluer aussi. L’époque du PDG visionnaire et omniscient, comme le fut Jack Welch à la tête de General Electric, est révolue. Aujourd’hui, un bon PDG est un patron qui sait s’entourer d’une bonne équipe et compartimenter son agenda. Regardez comment travaillent les militaires. Ils apprennent à mener plusieurs tâches de front, y compris dans un environnement hostile, et à gérer les priorités en s’appuyant sur des hommes et des femmes complémentaires.

L’avenir appartient plus aux petites entreprises flexibles ou aux grosses ?

Lou Gerstner, l’ancien PDG d’IBM, expliquait que les éléphants peuvent apprendre à danser. Les grandes entreprises qui sauront danser l’emporteront, car leur taille leur permet à la fois de prendre plus de risques et d’encaisser plus de chocs. Pour prendre une autre image, un petit navire peut être détruit à la première torpille, au premier revers. Mais le défi pour les dirigeants de grandes entreprises est d’apprendre à faire bouger un tanker à la vitesse d’un hors-bord.

Comment bien gérer aujourd’hui une entreprise ?

Le PDG doit avoir un microscope dans une main et une longue-vue dans l’autre. Il faut disposer d’une vision claire pour la stratégie à long terme, savoir où l’on veut aller, et en même temps apprendre à naviguer à vue, sans rester prisonnier de ses métiers historiques qui peuvent être rapidement remis en cause. Quand j’ai débuté, les dirigeants établissaient des plans stratégiques à cinq ans. Aujourd’hui, il leur faut travailler à la fois à six mois et à dix ans. Ceux qui réussiront seront ceux qui apprendront à réallouer leurs ressources plus rapidement que les autres, là où il y a de la croissance ou des niches. Nous sommes entrés dans l’ère des choix radicaux.

Les multinationales occidentales sont-elles bien armées ?

Elles ont tendance à trop voir les pays émergents comme un bloc relativement homogène. Les multinationales des pays émergents s’appuient davantage sur des ressources humaines locales, jusque dans les équipes de direction. Elles investissent aussi deux fois plus que leurs rivales occidentales dans les actifs productifs, quitte à verser moins de dividendes. Ces nouveaux acteurs anticipent souvent mieux et se dotent de processus de décision plus rapides pour, par exemple saisir une opportunité dans un autre pays émergent. Enfin, ils s’inscrivent dans une perspective de long terme, comme souvent les entreprises familiales.
Avec la crise financière, avec aussi les ruptures d’approvisionnement industriel induites par des catastrophes comme Fukushima, le scénario d’un monde « plat » semble mis à mal.

Comment voyez-vous l’avenir de la mondialisation ?

D’abord, le processus va continuer et même accélérer. Avec les possibilités offertes par les technologies de l’information, les chaînes de production vont encore plus se fragmenter, s’étirer. Mais l’idée d’une mondialisation à flux tendus recule. Face à des catastrophes naturelles plus fréquentes, les grandes entreprises doivent devenir plus résilientes. Elles ne peuvent plus prendre le risque de dépendre d’une seule usine, elles doivent dupliquer certains processus de production. Ce qui m’inquiète ensuite, c’est de voir des marchés financiers redevenir plus locaux, se cloisonner à nouveau, notamment sous l’influence des régulateurs. Si ce mouvement se poursuit, l’argent circulera moins facilement, et le système sera donc moins efficace. Enfin, nous devons en finir avec l’idée d’un processus de mondialisation idyllique. La mondialisation produit des gagnants, mais aussi des perdants. Des emplois disparaissent, les inégalités montent, des tensions sociales apparaissent. Les entreprises doivent contribuer à l’équilibre du système, s’engager pour lutter contre les effets négatifs d’une mondialisation dont elles bénéficient. Sinon, les murs ressurgiront.