Archive pour la catégorie ‘Le blog’

Tout tout tout je vous dirai tout…

Vendredi 1 octobre 2021

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 juin 2021, 19-20.838

Encore un arrêt qui rappelle que les obligations d’information pesant sur l’assureur ou le souscripteur à l’égard de l’assuré sont infinies.

Voici une décision qui fera jaser.

En effet, non content de devoir bien renseigner l’assuré sur toutes les garanties dont il peut bénéficier lors de la souscription de sa police d’assurance-emprunteur, le souscripteur doit aussi bien lui expliquer toutes les garanties auxquelles il n’a pas droit.

Et non content de l’avoir expliqué une fois, il doit répéter cette information à chaque fois que c’est nécessaire.

Une banque avait proposé à M. [Z], gérant de la SCI M, de souscrire à une assurance de groupe comportant trois options, dont une garantie décès, invalidité absolue et définitive, incapacité de travail, présentées de manière claire.

M. [Z] n’a pas souscrit l’option comportant invalidité absolue et définitive, incapacité de travail.

M. [Z] connaissait ces différentes garanties pour avoir déjà adhéré à ce même type d’assurance de groupe lors de la souscription du prêt initial en 1999.

Il s’agissait donc d’un renouvellement de prêt qui déclenche une nouvelle obligation d’information pré-contractuelle à la charge du sosucripteur (la banque en l’espèce).

Les juges de première instance et d’appel ont écarté la demande de Monsieur Z de le couvrir au titre d’une option qu’il n’avait pas souscrite, au motif qu’il connaissait bien les garanties et avait agit en toute connaissance de cause.

Ce n’est pas l’avis de la Cour de Cassation qui casse l’Arrêt d’appel au motif qu’en statuant ainsi sans rechercher, comme cela lui était demandé, si la banque avait éclairé l’emprunteur sur l’adéquation du risque couvert par le contrat d’assurance groupe avec sa situation personnelle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Elle relève que le banquier qui propose à son client emprunteur d’adhérer à un contrat d’assurance de groupe est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur et que la remise d’une notice descriptive ou la connaissance par le client des stipulations de la police ne suffit pas à satisfaire à cette obligation.

Dans protection sociale il y a « protection »…

Mardi 21 septembre 2021

Un petit pas de coté à l’occasion de ce que les journalistes appellent la rupture du « contrat du siècle » qui illustre surtout parfaitement les enseignements du dernier rapport de l’IRSEM du 20 septembre dernier, qui est à lire absolument sur les stratégies d’influence de la Chine et qui est mis en ligne sur leur site (voir en bas de l’article).

quelques chiffres à rappeler :

80% du financement de l’Alliance Atlantique est financée par les Etats-Unis, la Finlande, la Norvège et le Canada.

Les dépenses militaires américaines ce sont 613 milliards d’euros contre 186 milliards d’euros pour les 27 pays de l’Union européenne.

Les Etats-Unis assurent à eux seuls près de 40% des dépenses militaires mondiales.

A méditer…

Voici le résumé du rapport :

Pendant longtemps, on a pu dire que la Chine, contrairement à la Russie, cherchait davantage à être aimée que crainte ; qu’elle voulait séduire, projeter une image positive d’elle-même dans le monde, susciter l’admiration. Pékin n’a pas renoncé à séduire, à son attractivité ni à son ambition de façonner les normes internationales, et il reste très important pour le PCC de ne pas « perdre la face ». Mais, en même temps, Pékin assume de plus en plus d’infiltrer et de contraindre : ses opérations d’influence se sont considérablement durcies ces dernières années et ses méthodes ressemblent de plus en plus à celles employées par Moscou. C’est un « moment machiavélien » au sens où Pékin semble désormais estimer que, comme l’écrivait Machiavel dans Le Prince, « il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». Ce qui correspond donc à une « russianisation » des opérations d’influence chinoises. Ce rapport s’intéresse à cette évolution, avec l’ambition de couvrir tout le spectre de l’influence, de la plus bénigne (diplomatie publique) à la plus maligne, c’est-à-dire l’ingérence (activités clandestines). Pour ce faire, il procède en quatre parties, présentant successivement les concepts, les acteurs, les actions et quelques cas.

1. Les concepts importants pour comprendre les opérations d’influence chinoises sont notamment ceux de « Front uni » – une politique du PCC qui consiste à éliminer ses ennemis intérieurs comme extérieurs, contrôler les groupes qui peuvent défier son autorité, construire une coalition autour du Parti pour servir ses intérêts, et projeter son influence jusqu’à l’étranger – et des « Trois guerres », qui représentent l’essentiel de la « guerre politique » chinoise, une forme de conflictualité non cinétique visant à vaincre sans combattre, en façonnant un environnement favorable à la Chine. Entreprise en temps de guerre comme en temps de paix, elle est composée de la guerre de l’opinion publique, la guerre psychologique et la guerre du droit (qui s’apparente, sans correspondre complètement, à ce que l’on appelle en anglais le lawfare).

Un autre concept, d’importation soviétique, est également utile pour décrire le répertoire utilisé par Pékin : celui de « mesures actives », dont font notamment partie la désinformation, les contrefaçons, le sabotage, les opérations de discrédit, la déstabilisation de gouvernements étrangers, les provocations, les opérations sous fausse bannière et les manipulations destinées à fragiliser la cohésion sociale, le recrutement d’« idiots utiles » et la création de structures de façade (organisations de front).

2. Les acteurs principaux mettant en œuvre les opérations d’influence chinoises sont des émanations du Parti, de l’État, de l’Armée comme des entreprises. Au sein du Parti, il s’agit en particulier du département de Propagande, en charge de l’idéologie, qui contrôle tout le spectre des médias et toute la production culturelle du pays ; du département du Travail de Front uni (DTFU), qui comporte douze bureaux, reflétant ses principales cibles ; du département des Liaisons internationales (DLI), qui entretient des relations avec les partis politiques étrangers ; du Bureau 610, qui a des agents dans le monde entier agissant en dehors de tout cadre légal pour éradiquer le mouvement Falun Gong ; il faut inclure dans ce groupe la Ligue de la jeunesse communiste (LJC), tout à la fois courroie de transmission vers la jeunesse, pépinière pour de futurs cadres du Parti et force mobilisable en cas de besoin, même si elle n’est pas formellement une structure du Parti mais une organisation de masse.

Au sein de l’État, deux structures en particulier sont impliquées dans les opérations d’influence : le ministère de la Sécurité d’État (MSE), qui est la principale agence civile de renseignement, et le bureau des Affaires taïwanaises (BAT), qui a la charge de la propagande à destination de Taïwan.

Au sein de l’Armée populaire de libération (APL), c’est la Force de soutien stratégique (FSS), et notamment le département des Systèmes de réseaux, qui dispose des capacités et missions dans le domaine informationnel. Plus précisément, le principal acteur identifié dans ce domaine est la base 311, qui a son quartier général dans la ville de Fuzhou, et qui est dédiée à l’application de la stratégie des « Trois guerres ». Elle gère aussi des entreprises de médias qui servent de couvertures civiles et un faux hôtel qui est en réalité un centre de formation.

Enfin, les entreprises publiques comme privées jouent un rôle important dans la collecte des données dont l’efficacité des opérations d’influence dépend puisqu’il faut savoir qui influencer, quand et comment. Peuvent en particulier servir à la collecte des données les infrastructures, notamment les bâtiments et les câbles sous-marins ; ainsi que les nouvelles technologies, dont les plateformes numériques WeChat, Weibo et TikTok, des entreprises comme Beidou et Huawei, et des bases de données offrant un aperçu de ce que des chercheurs appellent le « techno-autoritarisme », ou « autoritarisme numérique » chinois, et qui sont utilisées pour alimenter et préparer des opérations d’influence à l’étranger. Il faudrait ajouter le département d’état-major interarmes qui semble avoir hérité des missions de renseignement humain de l’ancien 2APL. Faute de sources celui-ci n’est toutefois pas abordé dans le présent rapport.

3. Les actions mises en œuvre par Pékin dans ses opérations d’influence à l’étranger relèvent de deux objectifs principaux et non exclusifs l’un de l’autre : d’une part, séduire et subjuguer les publics étrangers, en faisant une narration positive de la Chine, dont témoignent notamment quatre récits (le « modèle » chinois, la tradition, la bienveillance et la puissance) ; d’autre part et surtout, infiltrer et contraindre. L’infiltration vise à pénétrer lentement les sociétés adverses afin d’entraver toute velléité d’action contraire aux intérêts du Parti. La contrainte correspond à l’élargissement progressif de la diplomatie « punitive » ou « coercitive » pour devenir une politique de sanction systématique contre tout État, organisation, entreprise ou individu menaçant les intérêts du Parti. L’une comme l’autre passent généralement par une nébuleuse d’intermédiaires. Ces pratiques visent en particulier les catégories suivantes :

- les diasporas, avec le double objectif de les contrôler pour qu’elles ne représentent pas de menace pour le pouvoir (Pékin mène une campagne de répression transnationale qui, selon l’ONG Freedom House, est « la plus sophistiquée, globale et complète dans le monde ») et de les mobiliser pour servir ses intérêts.

- les médias, l’objectif explicite de Pékin étant d’établir « un nouvel ordre mondial des médias ». Pour ce faire, le pouvoir a investi 1,3 milliard d’euros par an depuis 2008 pour mieux contrôler son image dans le monde. Les grands médias chinois ont une présence mondiale, dans plusieurs langues, sur plusieurs continents, et sur tous les réseaux sociaux, y compris ceux bloqués en Chine (Twitter, Facebook, YouTube, Instagram), et ils investissent beaucoup d’argent pour amplifier artificiellement leur audience en ligne. Pékin cherche aussi à contrôler les médias sinophones à l’étranger, avec succès puisque le PCC a de fait une situation de quasi-monopole, et les médias mainstream. Enfin, le Parti-État s’intéresse aussi au contrôle du contenant, influençant chaque étape de la chaîne d’approvisionnement mondiale de l’information, avec la télévision, les plateformes numériques et les smartphones.

- la diplomatie, et notamment deux éléments. D’une part, l’influence sur les organisations et les normes internationales : Pékin déploie non seulement des efforts diplomatiques classiques mais aussi des opérations d’influence clandestines (pressions économiques et politiques, cooptation, coercition et corruption) afin de renforcer son influence. D’autre part, la diplomatie dite du « loup guerrier » désigne les postures du porte-parolat du ministère des Affaires étrangères et d’une dizaine de diplomates qui font preuve d’une agressivité croissante. Les attaques adoptent des formes classiques mais aussi relativement nouvelles, reposant notamment sur une utilisation des réseaux sociaux et un recours décomplexé à l’invective, l’admonestation voire l’intimidation. Globalement, ce tournant agressif de la diplomatie chinoise est contre-productif et a largement contribué à la dégradation brutale de l’image de la Chine dans le monde ces dernières années, mais l’évolution est sans doute durable parce que l’objectif de cette stratégie est moins de conquérir les cœurs et les esprits que de plaire à Pékin.

- l’économie, la dépendance économique à l’égard de la Chine étant bien souvent le premier levier utilisé. La coercition économique chinoise prend des formes extrêmement variées : déni d’accès au marché chinois, embargos, sanctions commerciales, restrictions aux investissements, contingentement du tourisme chinois dont dépendent certaines régions, organisations de boycotts populaires. Pékin fait de plus en plus de la censure un prérequis pour l’accès à son marché. Et beaucoup d’entreprises finissent par plier sous la pression.

- la politique, avec l’objectif de pénétrer les sociétés cibles afin d’influencer les mécanismes d’élaboration des politiques publiques. Entretenir des relations directes avec des partis et des personnalités politiques influentes permet d’infiltrer les sociétés cibles, de recueillir des soutiens officiels et officieux, et de contourner d’éventuels blocages au sein du pouvoir en jouant sur des personnalités politiques de l’opposition ou à la « retraite ». Pékin pratique également l’ingérence électorale (au cours de la dernière décennie, la Chine se serait ingérée dans au moins 10 scrutins dans 7 pays).

- l’éducation, d’abord et en premier lieu via les universités, qui sont l’une des principales cibles des efforts d’influence du Parti. Ses principaux leviers sont la dépendance financière, engendrant de l’autocensure dans les établissements concernés ; la surveillance et l’intimidation, sur les campus étrangers, des étudiants chinois, mais aussi des enseignants et administrateurs de l’université, pour faire modifier le contenu des cours, le matériel pédagogique ou la programmation d’événements ; et le façonnement des études chinoises, en incitant à l’autocensure et en punissant les chercheurs critiques. Le Parti-État utilise également les universités pour acquérir des connaissances et des technologies, par des moyens légaux et non dissimulés comme des programmes de recherche conjoints, ou des moyens illégaux et dissimulés comme le vol et l’espionnage. Dans un contexte de fusion civilo-militaire, certains programmes conjoints ou des chercheurs cumulant des postes dans des dizaines d’universités occidentales aident involontairement Pékin à construire des armes de destruction massive ou développer des technologies de surveillance qui serviront à opprimer la population chinoise – plusieurs scandales ont éclaté en 2020 et 2021.

Enfin, il existe un autre acteur important de l’influence chinoise dans le domaine de l’éducation, qui est d’ailleurs lié aux universités : les instituts et classes Confucius qui sont implantés partout dans le monde et qui, sous couvert d’enseigner la langue et la culture chinoises, accroissent la dépendance voire la sujétion de certains établissements, portent atteinte à la liberté académique et pourraient aussi servir occasionnellement à faire de l’espionnage.

- les think tanks, la stratégie chinoise dans ce domaine étant duale, Pékin cherchant à implanter à l’étranger des antennes de think tanks chinois, et à exploiter des relais locaux qui peuvent être eux-mêmes des think tanks, avec trois cas de figure : les partenaires ponctuels servant de caisse de résonance sur les marchés des idées locaux, les alliés de circonstance qui travaillent avec le PCC de manière régulière et les complices qui partagent avec lui une vision commune du monde et dont les intérêts sont convergents.

- la culture, d’abord par la production et l’exportation de produits culturels, tels que les films et les séries télévisées, la musique ou encore les livres, qui sont de puissants vecteurs de séduction. L’influence s’exerce aussi sur les productions culturelles étrangères, notamment sur le cinéma, avec l’exemple d’Hollywood : pour ne pas contrarier Pékin et maintenir leur accès au gigantesque marché chinois, beaucoup de studios de cinéma américains pratiquent l’autocensure, coupant, modifiant des scènes, voire font du zèle, en donnant aux personnages chinois le « bon » rôle. Le déni d’accès au marché chinois est une pratique généralisée pour tous les artistes critiquant le Parti-État. Par d’autres types de pressions, Pékin espère également inciter les artistes à modifier leurs œuvres, ou ceux qui les montrent ailleurs dans le monde à cesser de le faire, voire à faire le travail des censeurs chinois.

- les manipulations de l’information, en créant de fausses identités pour diffuser la propagande du Parti dans les médias, en ayant recours à de faux comptes sur les réseaux sociaux, des trolls et de l’astrosurfing (pour simuler un mouvement populaire spontané), en utilisant un grand nombre de « commentateurs internet » (labellisés à tort « armée des 50 centimes »), payés pour « guider » l’opinion publique. En général contrôlés par l’APL ou la LJC, les trolls défendent, attaquent, entretiennent des polémiques, insultent, harcèlent. Une autre manière de simuler l’authenticité est de faire publier des contenus par des tiers, contre de l’argent (fermes de contenu, achat d’un message ponctuel, d’une influence sur un compte, d’un compte ou d’une page, ou recrutement d’un « influenceur »). Depuis 2019, Twitter, Facebook et YouTube n’hésitent plus à identifier des campagnes coordonnées comme étant originaires de Chine. Des dizaines de milliers de faux comptes ont ainsi été suspendus, certains « dormants » depuis longtemps, d’autres achetés ou volés, amplifiant la propagande chinoise et attaquant les États-Unis, en chinois et en anglais. Certains comptes ont des images de profil générées par intelligence artificielle – une pratique désormais régulièrement observée dans les opérations chinoises sur les réseaux sociaux. Un aspect important de ces campagnes est qu’elles ne se contentent pas de défendre la Chine : la promotion du modèle chinois passe par la dégradation des autres modèles, en particulier de celui des démocraties libérales, comme le font les opérations d’influence russes depuis des années. L’APL est au cœur de ces manœuvres : elle utilise les réseaux sociaux pour, d’une part, de l’influence « ouverte », en diffusant de la propagande, souvent à des fins de dissuasion et de guerre psychologique et, d’autre part, des opérations clandestines et hostiles contre des cibles étrangères.

- Parmi les autres leviers utilisés par Pékin dans ses opérations d’influence, figurent notamment des mouvements citoyens, en particulier indépendantistes (Nouvelle-Calédonie, Okinawa) et pacifistes (groupe No Cold War), les touristes chinois, les influenceurs, notamment les Youtubeurs occidentaux et les universitaires étrangers, mais aussi les otages puisque Pékin pratique une « diplomatie des otages ».

4. Les études de cas prennent la forme de cercles concentriques. Taïwan et Hong Kong constituent le premier front de la « guerre politique » de Pékin : ce sont des avant-postes, des terrains d’entraînement, des « laboratoires de R&D » des opérations chinoises, qui peuvent ensuite être affinées et appliquées à d’autres cibles dans le monde – comme la Géorgie et l’Ukraine ont pu l’être pour les opérations russes. La première étape de l’élargissement du cercle des opérations chinoises a porté sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La seconde étape a porté sur le reste du monde, en particulier, mais pas seulement, l’Europe et l’Amérique du Nord. Cette partie présente quatre situations : Taïwan, Singapour, Suède, Canada – et deux opérations : celle ayant visé les manifestants hongkongais en 2019 et celle ayant cherché à faire croire à l’origine américaine de la Covid-19 en 2020.

Enfin, la conclusion revient sur ce « moment machiavélien » en deux temps. D’abord, pour confirmer qu’il s’agit bien d’une « russianisation » des opérations d’influence chinoises depuis 2017 environ : le parallèle avait déjà été fait en 2018 au moment des élections municipales taïwanaises, puis en 2019 lors de la crise hongkongaise, et c’est en 2020, pendant la pandémie de Covid-19, que le monde entier a pris conscience du problème. Cette russianisation a trois composantes, qui sont développées : Pékin s’inspire de Moscou dans plusieurs registres (et la littérature militaire chinoise reconnaît que, pour l’APL, la Russie est un modèle à imiter en la matière) ; il subsiste évidemment des différences entre les deux ; et il existe aussi un certain degré de coopération.

Ensuite, la conclusion cherche aussi à faire une évaluation de l’efficacité de cette nouvelle posture chinoise et conclut que, si elle implique certains succès tactiques, elle constitue un échec stratégique, la Chine étant son meilleur ennemi en matière d’influence. La dégradation brutale de l’image de Pékin depuis l’arrivée de Xi Jinping, en particulier ces derniers années, pose à la Chine un problème d’impopularité qui prend des proportions telles qu’il pourrait à terme indirectement affaiblir le Parti, y compris vis-à-vis de sa propre population.

« https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/etudes.html »

Prise en charge de la complémentaire santé des agents de l’État

Samedi 11 septembre 2021

Un décret publié au Journal officiel ce jeudi 9 septembre fixe les modalités du dispositif partiel de remboursement des cotisations auquel seront soumis les employeurs de l’État à compter du 1er janvier prochain. Ceux-ci devront ainsi participer à hauteur de 15 euros à la complémentaire santé de leurs agents, soit l’équivalent de 25 % du montant moyen des cotisations aujourd’hui payées.

Ce décret est pris en application de l’ordonnance du 16 février dernier, qui est venue acter la réforme de la protection sociale complémentaire des agents publics notamment en fixant une obligation de participation des employeurs publics “à hauteur d’au moins 50 %” d’ici 2026, soit 30 euros. Un dispositif transitoire était toutefois prévu dès 2022 pour la seule fonction publique d’État, ce que le décret publié ce jeudi vient donc préciser.

Le texte détaille notamment le champ d’application de cette prise en charge partielle et la liste des personnels qui pourront en bénéficier : les magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier ; les fonctionnaires titulaires et stagiaires ; les personnels militaires ; les agents contractuels de droit public ou de droit privé ou encore les ouvriers de l’État. Les vacataires, en revanche, ne seront pas éligibles à cette participation.

Ce remboursement sera par ailleurs aussi bien versé aux agents en activité, en détachement ou congé de mobilité ainsi qu’aux agents en congé parental, en congé de proche aidant ou encore aux agents en disponibilité pour raisons de santé.

À noter que le versement sera “maintenu jusqu’à la fin du mois au cours duquel l’agent cesse d’être” dans l’une de ces positions. “Lorsque la reprise du service a eu lieu au cours d’un mois ultérieur, le versement est effectué pour ce mois entier”, indique aussi le décret.

Le texte donne aussi des précisons sur les modalités de versement de cette participation pour les agents ayant des employeurs multiples. Lorsqu’un agent entrera en fonction ou changera d’employeur au cours d’un mois, alors le remboursement devra être versé par le nouvel employeur au titre du mois entier. Dans le cas où un agent occuperait des emplois à temps incomplet auprès de plusieurs employeurs, ce sera à l’employeur “auprès duquel il effectue le volume d’heures de travail le plus important” de procéder au paiement.

Par ailleurs, les agents à temps partiel ou occupant un emploi à temps incomplet bénéficieront dudit remboursement dans les mêmes conditions que s’ils travaillaient à temps plein ou complet. Détail également important du décret : l’employeur pourra “procéder à tout moment à un contrôle”. L’agent disposera alors d’un délai de deux mois pour produire tous documents “justifiant qu’il satisfait aux conditions d’éligibilité au remboursement sous peine d’interruption du versement de ce remboursement”.

RGPD et preuve illicite : le diable et le détail…

Mardi 7 septembre 2021

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation admet la recevabilité d’un preuve considérée jusqu’alors comme illicite dans le cadre du traitement des données personnelles avant l’entrée en vigueur du Règlement RGPD.

En l’espèce, un employé de l’AFP, qui était également le correspondant informatique et liberté au sein de l’agence, est licencié pour faute grave pour avoir adressé à une entreprise cliente et concurrente, cinq demandes de renseignements par voie électronique en usurpant l’identité de sociétés clientes.

L’AFP, ayant été alertée par l’une de ces sociétés, a identifié ce salarié comme l’auteur des messages litigieux en consultant les fichiers de journalisation conservés sur ses serveurs au moyen de l’adresse IP fournie par l’entreprise ayant donné l’alerte. L’AFP a ainsi pu déterminer avec précision que cet employé était l’auteur de ces messages. Ces données extraites par un expert informatique ont fait l’objet d’un constat d’huissier.

Mais ces données n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration à la CNIL conformément aux articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiées par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, l’employé de l’AFP contestait en appel la recevabilité de ces données en tant que preuve.

La Cour d’appel avait jugé le licenciement justifié, estimant que l’information du salarié et la déclaration préalable à la CNIL n’étaient pas nécessaires pour les logs, fichiers de journalisation et adresses IP « dès lors qu’ils n’avaient pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs ».

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur ce point, jugeant au contraire que « les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel » et que « leur collecte par l’exploitation du ficher de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel », qui doit donc faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL conformément aux lois précitées.

En l’espèce, cette déclaration n’étant pas intervenue, le moyen de preuve était donc illicite, et selon sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation déclarait automatiquement irrecevable toute preuve fondée sur des données personnelles si celles-ci n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL.[[1]]

L’arrêt du 25 novembre 2020 vient donc adoucir cette jurisprudence puisque dans cet arrêt, la Cour a jugé que « l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004 801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. ».

La Cour vient également durcir sa jurisprudence selon laquelle le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi[[2]]. Elle avait également décidé qu’un salarié ne peut s’approprier des documents appartenant à l’entreprise que s’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur, ce qu’il lui appartient de démontrer. [[3]]

En effet, dans cet arrêt du 25 novembre 2020, elle ne requiert pas seulement que la preuve illicite soit nécessaire mais bien indispensable, rejoignant ainsi la jurisprudence de la chambre civile sur cette question. [[4]]

Mais ce durcissement de jurisprudence en est vraiment un si cette jurisprudence s’applique à tout moyen de preuve et non seulement, comme en l’espèce, aux seules données qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL.

Ainsi, l’avenir nous dira si cette solution n’est vouée à s’appliquer qu’aux moyens de preuve fondés sur des données personnelles qui n’ont pas fait l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL ou si, par cet arrêt, la Cour de cassation entendait durcir de manière générale sa jurisprudence sur la recevabilité des preuves illicites en droit du travail.

Cette question se pose d’autant plus que le Règlement RGPD, entré en vigueur le 25 mai 2018, a supprimé la majorité des déclarations de fichiers à effectuer auprès de la CNIL dans une volonté de responsabilisation de ses acteurs. En effet, seules certaines formalités préalables subsistent (demande d’avis pour les secteurs policier et de la justice, demande d’autorisation pour certains traitements de données de santé notamment). La Cour de cassation ne pourra donc plus se servir de ce critère pour déterminer si les preuves fondées sur des données personnelles sont licites et recevables.

[[1]] Cass., Soc., 8 octobre 2014, n° 13-14.991.
[[2]] Cass., Soc., 9 novembre 2016, n°15-10.203.
[[3]] Cass., Soc., 31 mars 2015, n° 13 24.410.
[[4]] Cass., Civ. 1ère, 5 avril 2012, n°11-14.177.

Cass., Soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523

C’est la reprise

Mercredi 1 septembre 2021

Enfin !!!

après 18 mois de confinements/déconfinements/couvre feu/découvre feu ;
surtout, après un an d’un méchant covid qui m’a terrassée…

Nous pouvons tenter de reprendre une activité normale.

vive la vie.

Protection sociale complémentaire & catégories objectives : le nouveau décret

Samedi 31 juillet 2021

Le décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021 relatif aux critères objectifs des catégories de salariés bénéficiaires d’une couverture de protection sociale complémentaire collective entre en vigueur au 1er janvier 2022.

Ce décret adapte et actualise les références des articles R242-1-1 et R 242-1-2 du Code de la sécurité sociale (CSS) afin de tenir compte de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres qui annule et remplace les stipulations de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 (CCN du 14 mars 1947).

PSC : LES CATÉGORIES OBJECTIVES DE SALARIES ARTICLE R242-1-1 CSS
L’ANI du 17 novembre 2017 a définit l’uniformisation des régimes de retraite complémentaire de tous les salariés, en instituant la fusion des régimes Agirc-Arrco au 1er janvier 2019.

Cette fusion des régimes emportait la disparition des catégories objectives des bénéficiaires de la « PSC » relevant des articles 4 et 4 bis de la CCN du 14 mars 1947. Une insécurité subsistait, nonobstant les instructions ACOSS.

Le décret du 30 juillet 2021 était attendu afin de stabiliser la norme et de la sécuriser.

Il maintient le périmètre actuel des catégories de cadres et de non-cadres. Le nouvel article R242-1-1 CSS fait référence à la définition des catégories de salariés cadre et non-cadre des articles 2.1 et 2.2 de l’ANI de 2017 qui eux-mêmes reprennent les articles 4 et 4 bis de la CCN du 14 mars 1947.
Les branches professionnelles peuvent assimiler des catégories de salariés à des cadres qui ne correspondent aux critères de l’ANI que si ces catégories sont validées par la commission paritaire rattachée à l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Ce qui permettrait à la catégorie des salariés de feu « l’article 36 » de l’annexe I de la Convention Agirc de 1947 de perdurer par cette disposition.
Une catégorie peut être définie par un seuil de rémunération égal au plafond de la Sécurité sociale ou à deux, trois, quatre ou huit fois ce plafond. Une catégorie regroupant les seuls salariés dont la rémunération annuelle excède huit fois ce plafond n’est pas possible.
Une mise en conformité est attendu pour les entreprises déjà soumises un régime de « PSC » jusqu’au 31 décembre 2024.

Bonne année

Mardi 1 janvier 2019

Bonne année et bonne santé à tous et toutes.

L.

Joyeux Noel… ou pas…

Dimanche 30 décembre 2018

La loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales est publiée au Journal officiel du 26 décembre 2018. Composée de quatre articles, elle prévoit la possibilité pour les entreprises d’attribuer une prime exceptionnelle à leurs salariés, exonérée d’impôt et de cotisations sociales ; elle crée un dispositif de défiscalisation sur les heures supplémentaires ; enfin, elle supprime la hausse de 1,7 point de CSG pour les retraités les plus modestes.

Définitivement adoptée par le Sénat vendredi 21 décembre 2018 deux jours seulement après sa présentation en Conseil des ministres, la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales traduit dans la loi les mesures annoncées par le président de la République le 10 décembre 2018, en réponse aux revendications des « gilets jaunes ». Elle comporte quatre articles, amendés à l’Assemblée nationale, que les sénateurs ont votés à l’identique.

PRIME EXCEPTIONNELLE. Son article premier donne la possibilité, aux entreprises qui le souhaitent, d’accorder une prime exceptionnelle, appelée prime de pouvoir d’achat, à l’ensemble des salariés ou à ceux dont la rémunération est inférieure à un plafond, exonérée d’impôt et de cotisations sociales. L’exonération sociale ainsi que la défiscalisation vaut pour une prime allant jusqu’à 1 000 euros, sous certaines conditions.

Celle-ci doit être versée aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 ou à la date de versement, si celle-ci est antérieure ; son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classifications ou la durée de présence effective pendant l’année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail, les congés de maternité, paternité, adoption et éducation des enfants « sont assimilés à des périodes de présence effective » pour le calcul du montant de la prime ; son versement doit être réalisé entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019 ; elle ne peut se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial, le contrat de travail ou les usages en vigueur dans l’entreprise.

La prime ne peut également se substituer à aucun des éléments de rémunération versés par l’employeur ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales, contractuelles ou d’usage ; le montant de la prime ainsi que, le cas échéant, son plafond de rémunération pour lequel il s’applique, ainsi que la modulation de son niveau entre les bénéficiaires font l’objet d’un accord d’entreprise ou de groupe. À défaut, ces modalités peuvent être arrêtées au plus tard le 31 janvier 2019 par décision unilatérale du chef d’entreprise.

En cas de décision unilatérale, l’employeur en informe, au plus tard le 31 mars 2019, le comité social et économique, le comité d’entreprise, les délégués du personnel ou la délégation unique du personnel, s’ils existent. La prime est exonérée d’impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions suivantes : cotisation perçue au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction, taxe d’apprentissage, contribution supplémentaire à l’apprentissage, participation des employeurs au développement de la formation continue. Enfin, la « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » est exclue « des ressources prises en compte pour le calcul de la prime d’activité ».

DÉFISCALISATION DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES. L’article 2 de la loi prévoit l’exonération de l’impôt sur le revenu les heures supplémentaires et complémentaires, dans la limite de 5 000 euros par an, à partir du 1er janvier 2019.

CSG. L’une des mesures annoncées par le président de la République vise à annuler la hausse de 1,7 point de CSG pour les retraités dont la pension est inférieure à 2 000 euros par mois. L’article 3 de la loi prévoit donc de ramener le taux de CSG à 6,6 % pour les retraités dont le revenu fiscal de référence est compris entre 14 548 et 22 580 euros, à compter du 1er janvier 2019.

La bascule s’effectuera en mai 2019 au plus tard, avec remboursement rétroactif au titre des premiers mois.

PRIME D’ACTIVITÉ. Enfin, l’article 4 de la loi précise que « le gouvernement remet au Parlement un rapport sur la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité au 1er janvier 2019, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. Ce rapport a pour objet de présenter un bilan de la mise en œuvre opérationnelle de cette disposition réglementaire et de son impact sur le pouvoir d’achat des foyers bénéficiaires. Il a également pour objet de proposer des pistes de réforme pour améliorer le recours à la prestation et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages modestes. »
(source AEF)

Décision CEDS

Lundi 17 décembre 2018

Le Comité Européen des Droits sociaux (CEDS) a mis en ligne le 26 novembre, une décision adoptée le 3 juillet 2018, même si les décisions de cet organisme restent facultatives et n’impliquent pas d’obligations directes pour les Etats membres, elles ne sont pas sans conséquence dans les débats autour des accords de branche.

Décision CEDS 3 juillet 2018

Une bonne analyse

Vendredi 23 novembre 2018

Les gilets jaunes étonnent : d’où viennent-ils, si nombreux, si bien coordonnés, alors qu’ils ne dépendent d’aucune organisation ? Sont-ils de droite, de gauche ou d’ailleurs ? Les élites politiques ou journalistiques sont embarrassées, les syndicats ne savent pas comment se positionner. Pourtant les « gilets jaunes » sont une excellente nouvelle, parce qu’ils politisent enfin des questions écologiques, cruciales pour le monde d’aujourd’hui et de demain.

Trois cent mille manifestants : le chiffre est énorme, massif, quand on le compare aux dernières manifestations organisées par les syndicats, qui tournent autour de dix fois moins, par exemple pour la journée interprofessionnelle du 9 octobre (de 30 000 à 40 000 dans toute la France). Sans service d’ordre, sans coordination centrale, les « gilets jaunes » ont mené de nombreuses actions, avec relativement peu de désordres (ce qui ne veut pas dire sans accidents, parfois dramatiques) et souvent le concours des gendarmes. Ils ont souvent mis un point d’honneur à chercher des soutiens plus larges dans la population, et à ne pas bloquer les services publics. Les sondages indiquent que 73 % des Français soutiennent les « gilets jaunes », chiffre que les diverses formes de contestation n’osent plus imaginer tant il est élevé : le soutien aux grandes mobilisations contre la loi El Khomri n’a pas dépassé 55 %.

On retrouve au sujet des « gilets jaunes« tous les commentaires déjà entendus à propos des « indignés », de Nuit debout et de tant d’autres mouvements spontanés : ils n’ont pas de revendication claire, pas de leader, l’initiative va s’essouffler et l’on parlera d’autre chose. Mais qui est-ce « on » ? Ce sont les élites politiques, syndicales, scientifiques, voire associatives, qui ont habituellement la parole. Les « gilets jaunes », c’est au contraire l’irruption des « sans parts », suivant le mot de Jacques Rancière (La mésentente, Galilée, 2015), de ceux qui n’ont jamais la parole. Ils se savent épiés, voire manipulés, chacun cherchant à les courtiser, à les récupérer.

Le Rassemblement national rêve ainsi d’un soutien de masse à ses propres revendications, qui n’ont pourtant rien de social ni d’écologique, et encore moins de démocratique. La menace peut d’ailleurs venir de l’intérieur, avec des porte-parole jouant la séduction plus que l’authenticité. Le risque est réel. D’un autre côté, sans porte-parole, le risque de ne rien obtenir est élevé, dans la mesure où le gouvernement n’a personne avec qui négocier. De nombreuses voix en ont conclu au pourrissement prochain, et que l’on allait rapidement revenir aux sujets habituels, balisés de manière convenue ; personne ne se remettrait en question.

C’est aller un peu vite en besogne et ne pas voir l’intérêt du mouvement. Rappelons tout d’abord les données du problème. Nous avons d’un côté des élites mondialisées guidées par des économistes qui tombent d’accord à Kyoto en 1997 sur l’idée de faire monter le prix du carbone. Cette idée est extrêmement répandue chez les économistes de toutes obédiences, orthodoxes ou hétérodoxes. Elle est une évidence de bon sens. Elle découle très largement de la convergence de deux communautés savantes, utilisant des modèles numériques : les sciences du climat au sens large et les économistes. Elle reprend une doxa de fond : le gaz à effet de serre est un « mal » que les échanges produisent sur des tiers a priori non concernés par ces échanges ; ce « mal » doit être « internalisé » dans les échanges. La taxe (ou le permis négociable) vient corriger le signal-prix : l’énergie fossile ne doit plus être aussi accessible qu’avant, du fait de ses effets.

Le problème est que cette discussion est totalement hors-sol. Les sondages annuels de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) (« Les représentations sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique ») le montrent bien. Depuis plus de quinze ans, les Français ne connaissent pas le lien entre dérèglement climatique et carbone (c’est avec les déchets que le lien principal est fait), et c’est encore le cas de 80 % des personnes ayant « un niveau d’études scientifiques » (chiffres 2016) !

Dans le même temps, les Français sont convaincus des risques. 66 % pensent que les scientifiques « évaluent correctement les risques ». Les désordres climatiques actuels sont attribués par plus de 50 % des Français à l’effet de serre (contre 32 % en 2001), la part de ceux qui doutent de la responsabilité de l’effet de serre dans les désordres du climat passe de 49 % (2001) à 25 % (2016).

Placés devant les désaccords entre scientifiques, 81 % des Français pensent que le réchauffement de la planète est causé par les activités humaines, et ils étaient déjà 72 % à le penser en 2006. Et les conséquences pour la France sont prises au sérieux. De 55 à 60 % des Français pensent, depuis 2006, que « les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques », et de 35 à 40 % estiment qu’« il y aura des modifications de climat mais [que l’]on s’y adaptera sans trop de mal ». Et seulement de 1 à 2 % pensent que « le réchauffement aura des effets positifs pour l’agriculture et les loisirs ». Les réponses sont à peu près inchangées depuis que le sondage existe.
L’âge des personnes interrogées induit des différences d’appréciation sensibles : au-delà de 65 ans, 51 % des répondants estiment que l’on s’adaptera sans trop de mal au réchauffement climatique, contre 29 % des moins de 25 ans. Les personnes ayant un niveau d’études supérieur scientifique font aussi preuve de plus d’optimisme quant à l’avenir : 53 % d’entre elles sont d’avis que « l’on s’adaptera sans trop de mal au réchauffement climatique ».
Le jugement populaire est plus prudent que celui des personnes dotées d’un niveau d’études scientifiques : seuls de 10 à 12 % estiment (depuis 2006) que le progrès technique permettra de trouver des solutions. Entre 50 et 60 % pensent qu’« il faudra modifier de façon importante nos modes de vie pour empêcher l’augmentation de l’effet de serre (réchauffement climatique) ».

Est-ce surprenant ? Pas forcément, si l’on fait l’hypothèse d’une confusion entre science et technique dans le sondage : les plus optimistes ne sont peut-être pas « les scientifiques en général », pris comme un tout, mais les personnes qui ont suivi des études technoscientifiques et qui ont donc été éduquées à la toute-puissance de la technoscience, celle-là même qui finance par ailleurs les médias… lesquels sont gouvernés, comme la classe politique ou les entreprises, par la classe d’âge la plus confiante dans la capacité à faire face au dérèglement climatique par des moyens simples ou techniques.

Une menace mal identifiée produit habituellement de l’angoisse, laquelle conduit à l’inaction. Pourtant, le sondage 2016 nous apprend que les Français agissent déjà beaucoup pour le climat, dans leur quotidien – ou du moins ils pensent le faire, puisqu’ils ne savent pas vraiment où est le carbone. Tri des déchets, usage du vélo, etc., bien sûr, tout ça n’est pas à la hauteur ni même bien cadré, mais quand a-t-on convié les Français à la discussion de l’enjeu ? Jamais.

Plutôt que de stigmatiser, saluons l’intelligence populaire qui cherche à prendre la question en charge en dépit d’une situation adverse à tous points de vue, y compris informationnelle. Si les Français avaient été invités au débat, alors peut-être se serait-on rendu compte de cet élément déterminant : interrogés sur les conditions sous lesquelles ils accepteraient des changements importants de mode de vie, les Français mettent en avant les arguments de l’équité (que « les changements soient partagés de façon juste » : 50 %) et de la démocratie (que ces « changements soient décidés collectivement »). A 55 %, les Français considèrent les changements nécessaires comme une opportunité, et à 45 % comme une contrainte. Ces jugements sont stables dans les deux dernières enquêtes et ne varient pas sensiblement en fonction des caractéristiques sociodémographiques. Il n’y a donc pas de paradoxe, en ce sens, à refuser la taxe carbone et à faire de Nicolas Hulot sa personnalité préférée.

C’est dire l’importance de l’existence d’une discussion sur les droits et devoirs de chacun en termes de gaz à effet de serre. Et là nous devons mettre en évidence quelques paramètres que le sondage n’évoque pas. Le premier est que le revenu des pauvres est proportionnellement plus riche en CO2 que celui des riches. Cela s’explique par la dépendance des pauvres à l’automobile, aux supermarchés et plus généralement aux produits industrialisés, qui sont ceux qu’on peut se payer quand on est pauvre. Le second paramètre à évoquer est la hausse continue des prix de l’énergie, dans un contexte où les pauvres se sont appauvris, ces dernières années, tandis que les riches se sont enrichis. D’où ce constat : seuls les pauvres ont senti la hausse récente des prix de l’énergie – c’est-à-dire du carbone. Les plus nantis n’auraient-ils pas eu tendance à s’inquiéter du réchauffement climatique et cherché à pousser la taxe carbone, conseillés par les économistes, sans voir que d’autres en ont déjà payé largement le prix ?

Jacques Rancière parlait de « partage du sensible », en référence à des conditions esthétiques partagées, un ressenti, une analyse, même vague. Aujourd’hui, en matière d’intelligence de l’enjeu climatique règne une fracture : des décideurs, qui disposent de volumes considérables de données et de rapports, et la masse de la population, qui voit la menace et peine à la comprendre, dans un sentiment de relégation baignée de fallacieuses promesses technoscientifiques – l’hydrogène, l’électricité, la voiture qui se rechargerait en roulant.

Les conditions de l’intelligence collective du problème ne sont pas réunies, et ce fait ne semble pas poser de problème à la plus grande partie des commentateurs, qui revient très rapidement aux termes discursifs habituels, ceux qui précisément excluent le peuple. La vertu des « gilets jaunes » aura été de briser cet état de fait, de déclencher partout en France des conversations qui n’avaient pas lieu jusque-là, et donc de permettre une reconfiguration du sensible, et de ses partages. C’est déjà une petite victoire.

(Le monde 23/11/18) Fabrice Flipo est professeur de philosophie des sciences et techniques, chercheur au Laboratoire du changement social et politique de l’université Paris-Diderot et responsable du département Langues et sciences humaines à l’Institut Mines Télécom.