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Ordonnance n° 2015-839 du 9 juillet 2015 relative à la sécurisation des rentes versées dans le cadre
Paru dans La Tribune, voici un article d’Othman El Ferdaous – auditeur du cycle des hautes études européennes de l’ENA – qui permet de mieux comprendre les enjeux géopolitiques du brexit :
C’est bien au sud de la Méditerranée que sont attendus près de 100 millions de nouveaux chercheurs d’emploi d’ici à 2020, dans un espace écologique où le dérèglement climatique pourrait amputer les économies de la région d’un sixième de leur richesse. Et tandis que l’Europe tourne le dos à la Méditerranée jusqu’à l’absurde, elle ne perçoit toujours pas que la santé des pays du sud est une question de sécurité nationale pour tous les États membres de l’UE, elle ne semble pas prête à comprendre que les affaires méditerranéennes ne peuvent plus être considérées comme « étrangères ». Décryptage d’un demi-siècle d’incompréhension et d’errements, par Othman El Ferdaous (@oef75), auditeur du cycle des hautes études européennes de l’ENA.
Si l’on en croit les calculs du géographe Michel Foucher, « plus de 70% des 75 crises graves ouvertes, identifiées par l’International Crisis Group dans le monde, se localisent entre trois et six heures de vol de Bruxelles ». Et bien que la Méditerranée soit l’origine, le vecteur ou la caisse de résonance de 99 % des problèmes de l’Union Européenne (UE), elle ne semble pas occuper plus de 1% du temps de cerveau disponible des décideurs européens.
La stupéfiante misère textuelle du document du SEAE
La nouvelle stratégie de politique étrangère de l’UE, dévoilée par Federica Mogherini au Conseil européen du 29 juin, révèle ces cruelles insuffisances. Une simple analyse textuelle du document montre que le mot Méditerranée y est à peine cité six fois, soit moins que l’Arctique… Quant à l’Afrique du Nord, elle n’est mentionnée qu’en trois occurrences seulement, soit autant que les Caraïbes !
Des pays qui inquiètent grandement la plupart des chancelleries européennes – comme l’Algérie, l’Égypte, l’Irak, le Yémen, le Nigéria et le Pakistan – ne sont pas même cités une fois dans cette copie stratégique du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) où ne figure pas non plus l’expression « printemps arabe », alors que le terme « démocratie » y est invoqué à 23 reprises.
Le Sahel, la Ligue Arabe, l’Union Africaine et l’Afrique subsaharienne apparaissent chacun à deux petites reprises, le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest ne sont nommés qu’une fois sur 57 pages, tandis que la Chine (six), le Japon (quatre), le Canada (trois) ou la Corée (deux) se voient réserver un traitement sans rapport avec leur éloignement géographique à plusieurs milliers de kilomètres du Vieux continent.
Grand Large et Heartland
Après les crises migratoires à Calais, Lampedusa et Cologne, après les attentats à Paris et Bruxelles, dans un contexte marqué par le pivot de l’administration Obama vers le Pacifique et les menaces électorales de Donald Trump de facturer la protection américaine aux démocraties européennes comme aux monarchies du Golfe, la doctrine stratégique du SEAE paraît faire l’impasse sur une approche proactive vis-à-vis de l’arc de crise qui ceinture l’UE sur sa marche méridionale.
La sortie du Royaume-Uni devrait avoir des répercussions géopolitiques majeures sur les équilibres et les lignes de faille qui structurent la Mare nostrum. En particulier, la dialectique entre les vocations maritime et continentale des puissances de la péninsule européenne devrait s’en trouver modifiée. On oublie parfois que la guerre du Péloponnèse s’est soldée par l’effondrement de l’impérialisme maritime athénien et la victoire de Sparte, archétype de la puissance continentale.
À la lumière de ce rappel, comment interpréter de façon prospective l’impact du départ britannique sur la géopolitique méditerranéenne? La Théorie du Heartland (ou coeur de l’Eurasie) formulée par le géographe britannique Sir Halford John Mackinder, pose le constat suivant : « Qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle le Heartland ; qui contrôle le Heartland contrôle l’Île Monde ; qui contrôle l’Île Monde contrôle le monde ». À l’opposé, si l’on en croit l’amiral américain Alfred Thayer Mahan, auteur de The Influence of Sea Power on History, c’est plutôt la domination des mers qui assure la suprématie mondiale.
L’UE, désormais élargie à l’est et amputée de la projection atlantique des îles britanniques, est plus que jamais une puissance continentale au sens de Mackinder. Le refoulement du Royaume-Uni vers le « grand large » porte en germe un rapprochement entre l’UE et la Russie. Notons que le retrait des 73 députés britanniques du Parlement européen, en 2019, affaiblira l’agenda anti-russe promu par le groupe du Parti populaire européen (PPE).
Maintenir la Russie hors des mers chaudes
La pensée stratégique américaine a toujours consisté, d’une part, à faire confiance à Mackinder en s’assurant que la péninsule européenne ne tombe jamais sous l’influence russo-soviétique et, d’autre part, à prendre l’Amiral Mahan au mot en élevant le contrôle des mers au rang d’impératif géopolitique de premier plan. À l’avenir, Washington voudra garder les Russes fixés sur leurs préoccupation stratégiques dans les Pays baltes et en Pologne, tandis qu’en retour Moscou tentera de pressuriser les américains ailleurs, en Méditerranée.
C’est bien à Malte que la fin de la guerre froide fut annoncée en 1989, lors d’un sommet entre Bush et Gorbatchev. Il ne faut pas non plus perdre de vue que c’est la géopolitique de la Méditerranée qui a motivé, en dernière analyse, le maintien de la Grèce dans l’Eurozone, alors qu’un Grexit doublé d’un financement de la dette et de la relance économique dans ce pays d’à peine 11 millions d’habitants aurait été une solution optimale pour assurer l’avenir de la monnaie unique.
La Grèce a ainsi été artificiellement maintenue dans le giron de la Banque centrale européenne pour la tenir éloignée du champ de force chrétien orthodoxe russe, en vertu du même impératif géostratégique qui a motivé le soutien du camp occidental à la dictature des colonels (de 1967 à 1974) et l’entrée de la Turquie dans l’OTAN en 1951, à savoir le containment de la Russie hors des mers chaudes.
Couple franco-allemand et Europe de la défense
Le repli atlantique du Royaume-Uni annonce en outre la constitution d’une « Europe de la défense » centrée autour de l’axe Paris-Berlin, pavant la voie pour la création d’un contingent commun de l’UE et vers un renforcement du dispositif frontalier au sud. L’UE retrouvant une pertinence géopolitique – et le Royaume-uni s’affaiblissant sous l’effet des poussées indépendantistes écossaise, irlandaise, voire australienne – les Américains n’auraient plus dès lors comme partenaire de référence en matière de Défense que le couple franco-allemand.
Signe des temps, l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle mettrait un terme à la baisse continue, depuis un quart de siècle, des effectifs de la Bundeswehr. À terme, il n’est pas exclu que la France puisse vouloir inciter la puissance économique allemande à se projeter d’avantage encore dans les ambitions militaro-industrielles européennes, en ouvrant la perspective d’une mise en commun de son siège permanent au conseil de sécurité des Nations-unies. Une décision stratégique d’une telle magnitude, visant à neutraliser la pression anti-interventionniste en provenance de Berlin, signerait sans conteste le grand retour de la France sur la scène géopolitique mondiale.
Un concurrent de l’UE en Méditerranée
Le Royaume-Uni a certes toujours eu une politique diplomatique et de défense indépendante de l’UE, mais Bruxelles risque fort d’avoir à faire face à une montée en charge britannique sur son flanc sud, comme elle doit se préoccuper aujourd’hui du révisionnisme russe et de l’expansionnisme turc sur son versant oriental.
Sans le Royaume-Uni, l’UE perd 15% de son effort d’aide au développement, 30% de sa capacité diplomatique, 40% de sa puissance militaire, environ 45% de sa force de frappe nucléaire et 50% de ses droits de véto au Conseil de sécurité. En d’autres termes, l’Europe a désormais un sérieux concurrent – non un adversaire – en Méditerranée. Acculée par son isolement européen et enhardie par la nécessité de renforcer ses lignes de communication vers le lointain Commonwealth, la Grande-Bretagne marquerait son retour en Méditerranée où elle possède déjà plusieurs bases militaires sur la route des Indes.
Surtout dans la perspective d’une « Europe de la défense » désormais consolidée autour de l’espace carolingien de la réconciliation franco-allemande, dont les britanniques seraient exclus et dont ils ne poursuivraient pas toujours les mêmes buts au regard de leurs intérêts bien compris. « La Grande-Bretagne aura une autonomie qui lui permettra de décider rapidement et surtout de défendre des intérêts propres, ciblés. Son aide et ses accords auront donc plus d’impact » analyse Thierno Seydou Diop, à Bruxelles.
À ce titre, le cas de la Méditerranée occidentale est parlant. Le contrôle de l’entrée du détroit de Gibraltar – voie stratégique par laquelle transite le tiers du volume mondial de transport maritime commercial – n’étant plus assuré à 100 % par des États membres de l’UE, qui sait quelle tournure prendrait un conflit diplomatique entre l’Espagne et le Royaume-Uni autour de Gibraltar, où seulement 823 habitants sur un peu moins de 20 000 ont voté en faveur du Brexit ?
Vers plus de tensions entre l’OTAN et l’UE ?
L’Espagne sera amenée à renforcer encore d’avantage son dispositif militaire dans le détroit, alimentant une situation de tension dans la région, tandis que le Maroc et l’Algérie renouvellent leurs flottes respectives en multipliant les acquisitions navales. Le royaume chérifien, dont les forces armées ont récemment rejoint la plateforme d’interopérabilité de l’OTAN, devrait inaugurer cette année sa plus grande base navale à Ksar Sghir – un projet initié au lendemain du conflit des îlots Persil, en juillet 2002 – à 20 kilomètres de l’enclave coloniale de Ceuta, et au nez de la présence militaire britannique sur le rocher.
Le Brexit pourrait en outre raviver les lignes de faille au sein du camp occidental, l’Italie tentant de se substituer à Londres comme hub principal du transatlantisme. Le Royaume-Uni fera partie avec la Norvège et la Turquie du cercle des nations membres de l’OTAN qui ne sont pas membre de l’UE. Dans une inversion totale des rôles traditionnels, Washington pourrait finir par devoir assurer l’équilibre entre le Royaume-Uni et l’axe franco-allemand.
Compte tenu du poids militaire des britanniques en Méditerranée, les tensions entre l’OTAN et l’UE pourraient également être attisées par la rivalité entre Londres et Madrid, comme lorsque onze eurodéputés, notamment polonais et baltes – les Britanniques sont maîtres dans l’art de faire porter leurs intérêts par d’autres – ont accusé Madrid d’avoir transformé Ceuta en « base navale non-officielle de la Russie » en Méditerranée occidentale.
Retour de Moscou et turcophobie
Si l’on y ajoute le retour de Moscou en Méditerranée orientale, à Sébastopol en Crimée et à Tartous en Syrie alaouite, et l’expansionnisme naval de la Turquie qui a annoncé son intention de mettre en service dès 2021 un porte-avion construit pour plus d’un milliard de dollars, il devient clair que l’impréparation de l’UE sur son flanc méridional et son déficit de vision à long terme sont des opportunités que ses adversaires ne laisseront pas inexploitées.
Sans compter que le Brexit a déjà commencé d’attiser les diatribes anti-turques qui n’auront d’autre effet que d’accroître l’assertivité d’Ankara en Méditerranée. Au lendemain du référendum britannique, l’éditorialiste Christophe Barbier a cru bon d’asséner dans les colonnes de L’Express, qui fut un temps le magazine d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre, qu’« aujourd’hui le plus urgent est d’avoir le courage de dire à la Turquie que jamais elle ne sera membre ». La turcophobie est un aphrodisiaque politico-médiatique bien connu, une martingale qui permet d’emporter à la fois les suffrages de la droite conservatrice et ceux des centristes chrétiens-démocrates.
La perspective d’un effondrement économique au sud
Bien que le concept stratégique de l’OTAN considère la fracture nord/sud comme la principale menace à la sécurité de ses membres, l’UE ne semble pas encore avoir bien pris la mesure des enjeux méditerranéens. C’est bien au sud de la Méditerranée que sont attendus près de 100 millions de nouveaux chercheurs d’emplois d’ici à 2020, dans un espace écologique où le dérèglement climatique pourrait amputer les économies de la région d’un sixième de leur richesse.
Des économies qui ne sont déjà pas en très grande forme puisque le produit intérieur brut combiné d’Istanbul à Nouakchott est aujourd’hui inférieur à celui de l’Italie… voilà la menace principale qui hypothèque l’avenir du Vieux Continent.
La perspective d’un effondrement économique des pays de la rive sud aurait dû occuper a minima un bon tiers des 57 pages de la copie stratégique de Federica Mogherini. Si cet effondrement avait lieu, le projet européen sous sa forme actuelle rejoindrait la République de Weimar au rayon des expériences démocratiques ayant débouché sur le pire.
La santé des pays du sud de la Méditerranée est une question de sécurité nationale pour tous les états membres de l’UE, notamment parce que ce premier périmètre au sud de l’Europe ne serait pas capable, dans les condition actuelles, d’amortir les déséquilibres futurs qui sont d’ores et déjà inscrits dans le marbre des tendances démographiques en provenance du second périmètre sahelo-saharien. Aujourd’hui plus de huit Maliens, Nigériens ou Tchadiens sur dix n’ont pas accès à l’électricité, ces pays confrontés à l’avancée du désert connaissent des taux de fécondité moyens de six à sept enfants par femmes.
Une politique de voisinage décevante
L’annonce d’une révision de la stratégie de politique étrangère de l’UE avait pourtant suscité quelques espoirs. On attendait un véritable pivot de l’est vers le sud dans la politique de voisinage, des mécanismes audacieux pour orienter une part des fonds structurels de la politique régionale vers la rive sud. On espérait une meilleure intégration de la politique de sécurité et de défense commune avec la politique de voisinage, et peut-être même un assouplissement drastique des conditions de mise en oeuvre des plans d’action pluriannuels qui découlent des différents accords d’association.
Dans les dix-huit mois qui viennent, des élections nationales dans cinq des principaux États membres de l’UE devraient avoir lieu. Il faut espérer que le débat démocratique s’emparera de la question méditerranéenne pour passer du cercle vicieux de la crispation identitaire à une éthique de la prospérité partagée enracinant enfin l’Europe en Méditerranée. La présidence maltaise du Conseil européen, de janvier à juin 2017, mettra sans doute le dialogue méditerranéen en tête de l’agenda des décideurs. Encore faudra-t-il que les opinions publiques européennes cessent de considérer les affaires méditerranéennes comme « étrangères ».
L’impensé méditerranéen dans la construction européenne n’est intelligible qu’en mesurant ce que le projet européen doit à la décolonisation. Lorsqu’en octobre 1956 la France et le Royaume-Uni sont mis en difficulté à Suez, les deux pays accélèrent le processus initial qui aboutira seulement six mois plus tard au Traité de Rome. Le point de bascule décisif du centre de gravité des nations européennes des empires coloniaux vers le continent interviendra dans l’espace des dix mois qui séparent les accords d’Evian, mettant un terme en mars 1962 à la guerre d’Algérie, du traité de l’Elysée instituant en janvier 1963 la matrice fondamentale de ce qu’on nomme depuis le « couple franco-allemand ».
Il en résulte qu’un demi-siècle plus tard, l’Europe tourne le dos à la Méditerranée jusqu’à l’absurde. Alors que plus de 10 000 migrants s’y sont noyés depuis 2014, le siège de l’agence Frontex est situé à … Varsovie. Et parmi les 28 intergroupes du Parlement européen, aucun ne rassemble les parlementaires – pourtant théoriquement nombreux – qui pourraient être intéressés par les enjeux de la Méditerranée ou de l’Afrique, tandis que l’intergroupe sur le bien-être animal affiche une santé éclatante avec 70 signataires.