Comme toujours lumineux et précis, voici un article de François Charpentier, paru dans la Tribune cette semaine.
La baisse annoncée des retraites complémentaires doit être relativisée. Le rapport entre la pension et le dernier salaire reste plus favorable en France que dans beaucoup de pays européens. Par François Charpentier
Il fallait être ou bien sot ou bien naïf pour ignorer que l’accord sur les retraites complémentaires du 30 octobre 2015 se traduirait par une diminution des pensions futures. Toutes les réformes qui se sont succédé à partir de 1993 ont visé à réduire la croissance des retraites qui avait été continue depuis la Libération, jusqu’à 1973. Cette année marquait de ce point vue un point haut après les loi Boulin de 1971 et 1972 et certains s’inquiétaient même à l’époque du fait que la retraite d’un cadre pouvait être supérieure au revenu d’un couple avec deux enfants. Une estimation au doigt mouillé sans doute, mais qui traduisait bien le fait que le système mis en place trente ans plus tôt avait permis de sortir les personnes âgées de la misère. Personne évidemment ne songeait à s’en plaindre.
Toutes les réformes sont allées dans le même sens
Après 30 ans de croissance continue des pensions, les 20 années qui vont suivre de 1973 à 1993 vont être consacrées à convaincre les Français que « l’âge d’or des retraites », comme on disait à l’époque, était derrière eux. Rapports, colloques en tous genres, jusqu’au libre blanc Rocard de 1991, ont contribué à cette opération de sensibilisation de l’opinion publique. Non sans un certain succès puisque c’est sans grève et sans drame – et , il faut le dire, sans publicité en plein mois d’août… – que la première réforme est intervenue sous la houlette d’Edouard Balladur et de Simone Veil en 1993. Elle touchait la seule assurance vieillesse, donc le seul secteur privé, et immédiatement l’Arrco s’est aligné, l’Agirc faisant de même un an plus tard.
À partir de là, toutes les réformes des régimes de base (2003 et 2010) et des régimes complémentaires (1996, 2001, 2003, 2011 et 2013) sont allées dans le même sens. Toutes ont combiné dans des proportions variables des relèvements de cotisation, des allongements de durée d’assurance, des économies de gestion et, dans la phase la plus récente, les mesures les plus impopulaires, autrement dit les baisses dans la croissance des pensions. Et toutes se sont efforcées de répartir à peu près équitablement les sacrifices entre les actifs, les retraités et les entreprises.
Les retraités paient le gros de la facture
Si l’accord de 2015 marque une rupture c’est peut-être d’abord parce que dans le contexte d’une crise économique plus profonde et plus durable que ne l’imaginaient les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, l’effort a été cette fois partagé différemment. Certains diront qu’il a été moins bien partagé. Dans une première période, jusqu’au 1er janvier 2019 ce sont essentiellement les retraités qui sont mis à contribution à travers une mesure de sous indexation des pensions qui prolonge le précédent accord et un décalage de la revalorisation annuelle des pensions au 1er novembre. Rappelons qu’en 2020, l’addition de ces deux mesures représente une économie de 3,4 milliards d’euros sur les 3,6 attendus.
Ce n’est donc qu’à partir de 2019 que s’appliquent les coefficients de solidarité -visant à inciter les cadres à partir en retraite plus tard- pour une économie estimée à 0,5 milliard d’euros en 2020. Cette fois, ce sont les actifs qui paieront, les entreprises étant pour l’essentiel épargnées. Ce chiffre conduit-il à penser que la pension d’un cadre né en 1990 pourrait être de ce fait réduite de 17 %, comme la presse l’a évoqué ? Une « mauvaise » lecture des travaux du COR (Conseil d’orientation des retraites) pourrait le laisser supposer. Mauvaise, car la mise en œuvre de ces coefficients de solidarité n’a pas pour seul effet de réduire le montant de la pension sur une période de temps limitée. À supposer en effet qu’un cadre entre dans le système et prolonge son activité, il va acquérir des droits supplémentaires au titre du régime de base, mais aussi des régimes complémentaires. L’un dans l’autre, l’opération resterait donc négative pour le retraité, mais selon les experts la perte nette ne dépasserait pas 5 %.
La répartition en France a encore de beaux restes
Seconde remarque, les travaux du COR selon leurs auteurs eux-mêmes sont marqués par une forte incertitude. En revanche, ce qui est vrai c’est que la France est plutôt mieux placée que ses voisins en matière de retraite. Non seulement parce que le maintien d’un taux de fécondité élevé (aux environs de 2 enfants par femme), même s’il ne renouvelle pas tout à fait les générations, permet de penser que la répartition a encore un sens. Mais aussi parce que le taux de remplacement par rapport au dernier salaire reste nettement plus élevé en France (63 %), qu’il ne l’est en Grande-Bretagne ou en Suède (environ 53 %), sans parler de l’Allemagne (47 %)[1].
Au-delà, comment et peut-on imaginer aujourd’hui ce que sera le régime de retraite d’un cadre né en 1990 donc à peine entré dans la vie active ? Peut-on sérieusement faire des projections à 40 ans de distance ? Évidemment oui quand il s’agit de prévoir les effets de l’arrivée de la générations du baby-boom à l’âge de la retraite, les données démographiques étant réputés robustes à 20 ans de distance. En revanche, il est beaucoup plus aléatoire de s’exprimer sur le montant des pensions dans 40 ans qui dépend de l’emploi, des salaires, de la démographie et surtout de comportements dont on voit bien avec les coefficients de solidarité qu’ils sont très difficiles à anticiper.
Cette dernière remarque conduit à souligner que l’importance des coefficients de solidarité tient sans doute beaucoup moins dans leur impact mécanique sur le montant des pensions que sur les effets que l’on est en droit d’attendre d’une mesure dont le principal mérite est d’introduire de la flexibilité dans la sortie de la vie active. La « retraite à la carte » qu’elle favorise, constitue à cet égard une liberté à laquelle les salariés seront très attachés. À eux en effet de faire un choix entre rester au travail ou poursuivre une activité en fonction de critères propres à chacun, à commencer par l’état de santé de la personne et sa situation matrimoniale et patrimoniale. Il y a là une vraie conquête sociale, mais dont les effets sont pour le moment très difficiles à apprécier.
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’on comprendrait mal que cet aspect le plus nouveau et sans doute le plus porteur de la dernière réforme ne s’applique pas comme prévu en 2019. Non seulement ce serait une première si un accord paritaire signé par trois organisations syndicales ne s’appliquait pas et ce faisant une grave entorse au mode de gestion paritaire des régimes de retraite complémentaire. Mais surtout ce serait une occasion manquée d’introduire un peu de souplesse et de modernité dans des mécanismes qui pour certains d’entre eux ont tout de même 70 ans d’âge.
Le plus dur est à venir
Il reste enfin l’essentiel dans cette réforme dont on semble vouloir éviter de parler à savoir la mise en place d’un régime de retraite complémentaire unifié à compter du 1er janvier 2019. Une telle transformation, qui implique un reprofilage du régime des cadres, est sur les rails. Conformément aux orientations contenues dans l’accord du 30 octobre 2015, des discussions se sont ouvertes en février dernier et des groupes de travail ont été mis en place pour donner un contenu au futur régime et redéfinir la notion de cadre. Un statut à vrai dire qui n’a jamais été précisé, sauf à dire qu’était cadre celui qui gagnait plus que le plafond de la sécurité sociale. Cette fois il faudra aller plus loin dans la définition avec l’obligation de contenir les engagements du futur régime, dont le périmètre s’était considérablement élargi au fil des ans avec les techniciens et autres « assimilés ».
La négociation sera évidemment délicate. D’une certaine façon, d’ailleurs, elle fait déjà une victime en la personne de Carole Couvert, présidente sortante de la CFE-CGC, qui n’ayant pas eu le feu vert de sa fédération d’origine, celle de l’énergie, ne pourra briguer un second mandat au congrès confédéral de Lyon les 1er et 2 juin prochain. Bien des raisons autres qu’une conduite aléatoire de la négociation sur les retraites Agirc de 2015 expliquent sa disgrâce. Il n’empêche que cette question des retraites pèsera sur le déroulement du prochain congrès.
Deux candidats sont en lice pour succéder à la présidente sortante : François Hommeril, fédération de la chimie, qui avait été candidat à Saint-Malo contre Carole Couvert et Alain Giffard, actuel secrétaire national à l’économie et à l’industrie (fédération de la banque), qui semble tenir la corde. En tout état de cause et quel que soit l’élu, sa principale tâche sera d’une part d’éviter d’apparaître comme le « fossoyeur » du régime des cadres de 1947, d’autre part de parvenir à mettre en place un régime qui a légitimé depuis le 14 mars 1947 l’existence d’un syndicat catégoriel.
[1] La protection sociale en France et en Europe en 2013, édition 2015, Drees