« Pour l’assurance maladie obligatoire, prévenir le risque fait désormais partie intégrante de la gestion du risque », souligne Dominique Polton, directrice de la stratégie, des études et des statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Ce principe, qui figurait déjà en bonne place dans la Convention d’objectifs et de gestion de 2005, a naturellement été confirmé dans la COG (convention d’objectifs et de gestion) 2010-2013. Et les caisses nationales d’assurance maladie ne sont pas les seules à s’inscrire dans ce courant. Les mutuelles ont fait de très longue date de la prévention et de l’éducation thérapeutique un axe majeur de leur action, notamment dans le domaine du bon usage du médicament. Tout comme les institutions de prévoyance qui, via les partenaires sociaux – employeurs et représentants des salariés -, puisent dans cette orientation défendue au niveau des branches professionnelles et des entreprises, une légitimité nouvelle pour gérer le risque santé.
Il reste que le sujet est relativement neuf en France où l’on a longtemps considéré avec condescendance la prévention au motif qu’elle coûte cher sans produire d’effets immédiats. Mais la donne a changé dès lors que les ALD (affections longue durée) font consommer 70 % des dépenses remboursables par un peu moins de 20 % des patients. Ces ALD étant d’abord des maladies environnementales et comportementales, on voit bien qu’on pourrait en réduire significativement le coût par l’éducation et la prévention. Deux autres facteurs poussent évidemment à multiplier les actions de prévention : l’énormité des déficits qui invite les acteurs du système à faire feu de tout bois dès lors que l’appel à des recettes nouvelles et des coupes claires dans les dépenses ne suffisent plus pour rétablir l’équilibre financier ; le vieillissement de la population qui conduit à des actions de préservation de l’autonomie pour maintenir le plus longtemps possible les personnes à leur domicile et remettre à plus tard un hébergement en établissement toujours coûteux.
Bien au-delà de l’information
L’éducation thérapeutique ne se réduit pas à l’information du patient. L’information sur la santé est disponible partout, à profusion, notamment sur internet et c’est plutôt le trop plein qui domine que la pénurie. Pour les spécialistes de ces questions, tel François Bourdillon, praticien à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris, l’éducation thérapeutique consiste à organiser la prise en charge par le patient lui-même d’une maladie chronique, donc exigeant un traitement sur le long, voire le très long terme. L’idée de base est donc de faire passer ce patient d’une attitude passive face à la maladie, à un rôle actif. Dans un cas comme le diabète, première maladie chronique en France devant l’asthme et les affections cardio-vasculaires, il s’agit d’apprendre à une personne à mieux se nourrir, à avoir une activité physique, à suivre les protocoles médicamenteux, à apprendre à se faire des injections d’insuline, à observer des procédures de sécurité, à avoir les bonnes réactions en cas d’effets secondaires des traitements, etc. Bref, il faut que le patient devienne acteur de sa santé et améliore ainsi sa qualité de vie.
Partant de là, on voit bien tous les gains qui peuvent en résulter aussi bien pour l’assurance maladie que pour les assureurs complémentaires d’un côté, pour les patients de l’autre. Une plus grande autonomie dans le choix et le suivi des protocoles de soins, de plus larges possibilités d’automédication, une meilleure connaissance de soi et des solutions d’urgence à mettre en oeuvre. Au-delà, il s’agit de « mieux gérer le risque » par rapport à des maladies à évolution généralement lente, à savoir faire face à d’éventuelles complications et à améliorer la vie quotidienne du patient. Prenons le cas des maladies cardiaques ou thrombo-emboliques. Sur 17 000 hospitalisations annuelles, 50 % seraient évitables dès lors que 37 % des accidents constatés ont une origine médicamenteuse. Pour l’asthme on peut s’étonner de l’absence d’indicateurs de spirométrie dans les écoles. Pour le diabète, il y a longtemps que les spécialistes s’étonnent qu’on ne fasse pas davantage d’examens du fond de l’oeil, ce type de dépistage étant pourtant systématique dans les pays anglo-saxons.
La France accuse un gros retard
Il est vrai que dans cette matière on n’en est qu’au début de l’histoire. Le rapport de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) sur ce thème date de 1998, la circulaire diabète en France ne remonte qu’à 1999 et il a fallu attendre le plan Juppé de 1995-1996 pour qu’on se préoccupe en France d’accréditer les établissements de santé, démarche à l’oeuvre dans la plupart des grands pays développés. À partir des années 2000, on ira de plan en plan : plan éducation pour la santé en 2001 ; création de l’[acro=Institut national de prévention et d’éducation à la santé=acro]Inpes[/acro] en 2002 ; mission des réseaux de santé entre 2002 et 2007 ; recommandations de la HAS (Haute autorité de santé) ; mise en place de la MIG ETP (Mission d’intérêt général éducation thérapeutique du patient) ; décret de compétence infirmier : loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) qui intègre dans le Code de la santé publique les missions de soins et de prévention.
Au niveau international, il y a longtemps que l’on s’intéresse aux investissements à réaliser dans la prévention et dans la plupart des pays développés, à commencer par les États-Unis, où le diabète en, lien avec l’obésité est une préoccupation de tous les instants qui dépasse et de loin un simple problème médical dès lors qu’il se double d’un phénomène social en lien avec le niveau d’éducation des femmes. Dans cette perspective de grandes campagnes sont régulièrement organisées par les organismes internationaux, en particulier l’OMS sur les effets nocifs du tabac et de l’alcool, la promotion d’une bonne alimentation et un niveau satisfaisant d’activité physique ou pour inciter les populations vulnérables à la vaccination.
Des effets contrastés et limités
Mais pour quel résultat ? C’est là que le bât blesse. D’une part, il n’est pas certain que ces campagnes atteignent leur cible qui sont souvent les populations qui ont le moins accès à l’information et à la connaissance. Par ailleurs, on bute toujours sur des questions de pouvoir d’achat et de niveau de vie. Ainsi consommer des fruits reste infiniment plus onéreux que de consommer du maïs et des dérivés de l’huile de palme. On pourrait multiplier les exemples. Résultat, se pose très vite la question de savoir quel est le rapport efficacité coût de ces campagnes.
Sur ce point, explique Michele Cecchini, économiste à la division santé de l’OCDE, si l’on mesure les résultats des actions de prévention à l’aune des années de vie en bonne santé, on constate que l’action qui, de très loin, produit le plus d’effet c’est l’accompagnement d’un patient par un diététicien. En revanche, les campagnes médias, les interventions en milieux scolaire et professionnel, une réglementation plus stricte des publicités sur les aliments n’ont que des effets très limités. En tout état de cause, il faut une prolongation élevée dans le temps de ces opérations pour que des effets significatifs se produisent. Partant de là, la prévention permet-elle de réduire les dépenses de santé ? « Un tout petit peu », observe Michele Cecchini, notamment dans les âges les plus élevés de la vie. Quant au rapport coût-efficacité, il reste difficile à établir. Sans doute n’est-il pas nul en France, mais comme le souligne François Bourdillon, il est clair que les 2 500 programmes de prévention existants se développent pour l’essentiel encore aujourd’hui en milieu hospitalier. En médecine de ville, le paiement à l’acte mal adapté aux maladies chroniques, tout comme l’organisation de l’offre de soins, sans parler d’erreurs politiques (un gigantesque ratage sur la vaccination contre le virus H1N1 et son impact négatif sur les campagnes ultérieures, par exemple), montrent que beaucoup reste naturellement à faire.
Un nombre d’arrêts maladie divisé par sept
Et beaucoup se fera si l’on en juge par les politiques déjà mises en application par tous les acteurs soucieux de gérer le risque santé. La Mutualité sociale agricole, par exemple, développe depuis plus de six ans un programme sur les maladies cardio vasculaires. 7 500 patients à ce jour ont suivi 6 modules de formation sur 3 séances de 3 heures chacune. Objectif, améliorer les connaissances pour prendre les bonnes décisions en matière de nutrition, d’éducation physique, etc, et, à terme, modifier les comportements. Il reste que pour conduire avec succès une telle opération, explique François Frété, médecin conseiller technique à la MSA en charge des maladies chroniques et de la prévention thérapeutique, il faut que plusieurs conditions soient remplies. Ainsi, les caisses locales doivent recruter et former des personnels ; la population visée doit être parfaitement ciblée ; les travaux pratiques doivent être réservés aux cas les plus graves ; le dispositif doit être lisible pour être attractif et être mis en place en lien avec le médecin traitant ; le suivi hors hospitalisation doit être prévu.
Les institutions de prévoyance se sont, elles aussi, positionnées sur la prévention. Chez Malakoff Médéric, par exemple, Anne-Sophie Godon, directrice de la prévention et des nouveaux risques, explique que les enquêtes clients ont montré une forte attente des entreprises sur les risques psycho-sociaux et l’absentéisme. En 2010, rappelle-t-elle 32 % des salariés ont été absents au travail au moins une fois dans l’année et le nombre moyen de jours d’absence par an est de 14,5. L’enjeu est donc considérable. La mise en place de baromètre santé en milieu de travail permet à l’assureur d’établir un diagnostic et d’orienter l’entreprise vers un partenaire qui l’aidera à trouver une solution. Autre approche : un dispositif d’autodiagnostic sur les risques psycho-sociaux mis en place depuis 6 mois a mis en lumière des « résultats catastrophiques » dans 700 entreprises de services, généralement des TPE (très petites entreprises). Un dispositif du même ordre sur l’absentéisme suscite « un intérêt incroyable » des entreprises. Mais pour déboucher sur quoi ? Anne-Sophie Godon cite le cas de PSA qui vient d’introduire sur l’un de ses sites de production des séances de kiné intégralement remboursées pour lutter contre le mal de dos. Résultat le nombre d’arrêt maladie a été divisé par sept.
La fin des cathédrales
Les mutuelles, qui pour certaines d’entre elles ont longtemps eu une clientèle captive, explique Michel Bedin, directeur adjoint à MFP Services, sont entrées depuis deux ans et demi dans le monde concurrentiel. Elles doivent donc respecter un cahier des charges et soumissionner tous les cinq ans. D’où l’intérêt pour elles de disposer de baromètres santé pour adapter leur offre. Ainsi, le 24 avril prochain, elles présenteront les résultats d’une enquête menée auprès de 5 600 personnes relevant de quatre mutuelles (administration sociale, justice et finances notamment). Principal enseignement, le vieillissement est perçu comme une préoccupation dominante et plus de 60 % des personnes interrogées se disent en attente de propositions concrètes. Sur ces bases, la MFP Services bâtit un plan d’action qui a d’ailleurs été présenté à Olivier de Cadeville, directeur délégué aux opérations à la Cnam.
Cette dernière est aujourd’hui en pointe sur le sujet ne serait-ce que, comme l’explique Dominique Polton, directrice de la stratégie des études et des statistiques de la Cnam, parce que l’assurance maladie est en capacité d’être « un opérateur de programme de masse ». Avec l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), la Cnam a conduit une mission aux États-Unis il y a deux ans pour s’informer sur le système du « Disease Management ». Il en a résulté le programme Sophia expérimenté avec succès sur le diabète dans une dizaine de départements . Au départ 10 millions d’euros étaient engagés sur ce programme d’accompagnement et de coaching téléphonique visant quelque 136 000 patients et 6 000 médecins. L’évaluation réalisée en 2010 a conduit à généraliser ce programme et à l’étendre à d’autres pathologies avec l’idée de passer progressivement d’une approche par pathologie à une approche par patients. La même démarche a été développée sur l’asthme avec cette volonté « d’embarquer » dans la prévention des personnes qui ne sont pas forcément malades et de développer en amont de la réalisation du risque un coaching en ligne. Depuis deux ans le site Amélie de la Cnam donne d’ailleurs des informations sur les pathologies les plus courantes. Le souci est évidement de donner une bonne information, il est aussi de contrer « les initiatives visant à faire le l’éducation thérapeutique à 1000 euros pour une poignée de gens alors que l’on dénombre 3 millions de diabétiques en France ». Car le problème est là, s’il n’est plus question de bâtir « des cathédrales coûteuses » et qui ne sont jamais terminées, l’ambition peut être plus modeste mais tout aussi efficace. Ainsi, ce programme sur l’insuffisance cardiaque développée en Lorraine ou ce recours à la télé-médecine en Basse-Normandie, le problème de fond, selon Dominique Polton, restant celui de la bonne évaluation de ces réalisations ponctuelles et locales.
(AEF blog – François Charpentier).