Il serait bon, pour une fois, que les trois familles d’assureurs, se mobilisent en anticipation pour construire un discours destiné à contrer le mouvement insidieux mais progressif qui consiste à considérer comme une « niche fiscale », les exonérations fiscales et sociales sur les régimes de retraite.
Un chapitre a été peu commenté dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, celui qui touche aux aides publiques à l’épargne retraite. Dans leur chasse aux niches fiscales les magistrats de la rue Cambon épinglent ces dispositifs qui viennent s’ajouter aux retraites de base et complémentaire obligatoires. Ce sont, d’une part les mécanismes des articles 39, 82 et 83 du Code général des impôts et quelques « fonds de pension à la française » de typeCorem (ex-Cref), CRH Préfon et contrats Madelin, d’autre part des outils plus récents comme lePerco et le Perp. L’étude reste superficielle, mais elle permet tout de même de conclure que tous ces dispositifs mis bout à bout ne procurent qu’un tout petit complément de retraite aux Français alors qu’ils apparaissent coûteux en terme d’avantages fiscaux. Mal orientés, inégalitaires, mal sécurisés. Le constat est sévère et appelle des réformes, souligne la Cour.
La Cour évoque en préambule des dispositifs « foisonnants ». De fait, avec les réformes de 2003 et 2010 suer les retraites, on a continué à empiler des dispositifs visant à compléter les retraites obligatoires, soit dans un cadre collectif, soit par voie individuelle, ces systèmes fonctionnant en capitalisation et servant dans la plupart des cas une rente viagère à leur bénéficiaire. Point commun de ces systèmes, ils fonctionnent toujours avec des avantages fiscaux. Cela dit, leur place reste modeste en France : alors que les régimes de retraite obligatoires versent quelque 260 milliards d’euros de retraite par an aux pensionnés, les régimes d’épargne retraite ne collectent que 13 milliards d’euros d’épargne, 8,4 milliards dans le cadre de l’entreprise et 4,5 par souscriptions individuelles.
AVANT 2003, TROIS PRODUITS AIDÉS FISCALEMENT
Avant la réforme Fillon de 2003 n’existaient que trois types de contrats :
- les dispositifs de l’article 39 (retraite à prestations définies) souscrits dans l’entreprise, débouchant sur une rente, à condition que le salarié soit encore présent dans l’entreprise au moment de son départ en retraite. Les cotisations payées par l’employeur subissent un prélèvement social de 12 % et les pensions versées entre 400 et 600 euros supportent un prélèvement de 7 % et de 14 % au-delà ;
- les systèmes de l’article 82 (contrats de « sursalaire ») sont considérés comme des éléments de rémunération destinés à quelques cadres. Ils sont traités comme des salaires et les prestations versées sous forme de rente sont traitées fiscalement comme des rentes à titre onéreux ;
- les plans de l’article 83 (retraites à cotisations définies) sont obligatoires à tout le personnel ou à une catégorie déterminée selon des critères objectifs. Les cotisations de l’employeur sont exclues de l’assiette de l’impôt sur le revenu du salarié et de celles des cotisations sociales dans la limite de plafonds différents pour les prélèvements fiscaux et sociaux. Les cotisations de l’employeur supportent, depuis 2011, un prélèvement social de 6 %. La sortie s’effectue en rente imposée sur le revenu au même titre qu’une pension de retraite.
TROP DE DÉBLOCAGES ANTICIPÉS ?
A côté de ces dispositifs qui ne couvrent globalement « que » 4 millions de salariés, soit 20 % des salariés du secteur privé, généralement de grandes entreprises et seulement 3 % de retraités, deux autres outils ont été mis en place avec la réforme de 2003. Le Perco, dont le nombre de titulaires a constamment progressé depuis sa mise en place : 201 000 en 2006, 334 000 en 2007, 444 000 en 2008 et 557 000 en 2009, avec une épargne moyenne de 1 670 euros en 2009 (2 051 en 2007).
Il doit en partie son succès au fait que l’employeur doit abonder l’épargne de ses salariés dans la limite de trois fois le montant qu’ils apportent et à l’existence de cas de déblocage anticipé en capital. « En 2009, première année pour laquelle des données détaillées sur les déblocages sont disponibles, écrit le rapporteur, sur les 15 000 déblocages, représentant un montant de 85 millions d’euros, plus de 60 % l’ont été de façon anticipée pour un montant de 42 millions d’euros, essentiellement d’après l’administration pour l’achat d’une résidence principale ». Et, en cas de déblocage pour cause de départ en retraite, « la sortie s’est faite exclusivement sous forme de capital et jamais sous forme de rente ». Plus grave, le rendement des Perco, investis dans les valeurs mobilières, n’est pas bon : entre 2007 et 2009, ce rendement a baissé de -6 %. Ce n’est pas la situation des marchés financiers aujourd’hui qui arrangera les choses.
Le Perp, à la différence du Perco, est un dispositif auquel on souscrit de manière individuelle, tout comme d’autres produits, Préfon pour les fonctionnaires, Corem (ex-Cref) pour les adhérents mutualistes, le CRH pour le personnel hospitalier et les plans Madelin pour les artisans, commerçants et professions libérales. Ces dispositifs ont en commun de prévoir des exonérations de cotisations sociales sur les montants épargnés, de servir une rente à leurs bénéficiaires à l’âge de la retraite imposées au titre de l’impôt sur le revenu. Le seul cas de sortie en capital est prévu pour l’acquisition de la résidence principale pour au plus 20 % des droits constitués. Ces dispositifs sont d’ampleur modeste puisque 4,1 millions de personnes seulement sont couvertes, l’épargne retraite se développant d’abord dans le cadre de l’entreprise avec cet inconvénient que l’importance des taux de déblocage anticipé « fait qu’ils ne peuvent être considérés pleinement comme des systèmes d’épargne retraite » ;
METTRE FIN À « DES EFFETS D’AUBAINE »
Partant de là, la Cour des comptes pointe un certain nombre de problèmes . D’abord une extrême complexité des règles sociales et fiscales applicables à ces produits. Les « spécificités portent sur la CSG et la CRDS, sur les cotisations sociales, sur l’impôt sur le revenu et sur l’ISF ». Ces régimes dérogatoires débouchent sur « un coût évalué » par la Cour des comptes à 2,4 milliards d’euros « principalement supporté par les organismes de Sécurité sociale, sans donner lieu à une compensation de la part de l’État ».
La Cour juge encore que ces dispositifs sont « mal orientés » et qu’il faut y remédier en commençant pas afficher plus précisément ce que sera la baisse du taux de remplacement des régimes de base qui rendra nécessaire le recours à l’épargne retraite. La Cour souhaite sur ce point que le COR actualise ses travaux de 2006 en prenant notamment en compte les changements de comportement induits par la réforme de 2003. Ensuite, la Cour déplore « une diffusion des produits d’épargne retraite très inégale ». Là encore, la Cour souhaite disposer de données plus précises sur le montant de ces compléments de pension au regard de l’avantage principal.
La Cour s’alarme encore de la sécurité insuffisante dont ces produits font l’objet, en particulier quand les placements sont réalisés en unités de compte ou quand les provisionnements ne sont pas suffisants (cas du Corem en 2002 et du CRH en 2008), et de l’insuffisante information des épargnants. Enfin, la Cour se demande s’il ne faut pas s’interroger sur « l’effet d’aubaine » dont bénéficient certaines catégories du fait d’un avantage fiscal consenti à quelques catégories triées sur le volet (fonctionnaires, professions libérales, commerçants) et « réorienter les aides vers des catégories pour lesquelles celles ci sont les plus nécessaires ». C’est une bonne question sur laquelle la Cour des comptes aura sans doute l’occasion de revenir dans le cadre d’un prochain rapport qu’elle prépare sur les effets des réformes des dernières retraites. (source AEF)