Le débat sur la réforme des retraites de 2010 démarre sur des bases idéologiques. Une analyse de François Charpentier
Dossier d’actualité
Le ministère du Travail Xavier Darcos, se serait sans aucun doute bien passé d’ouvrir le débat sur les retraites au moment où le gouvernement s’embourbe dans la polémique sur la taxe carbone. Seulement voilà, une mauvaise gestion du timing sur le dossier des avantages familiaux de retraite par ses prédécesseurs le conduisent aujourd’hui à intervenir. Vite et mal, évidemment, puisque le gouvernement va devoir trancher dans l’urgence sur une question qui ne se limite pas aux MDA (majorations des durées d’assurance). De fait, ce n’est pas un hasard si le Conseil d’orientation des retraites en décembre dernier avait consacré son sixième rapport aux deux volets d’une même question, les droits « familiaux et conjugaux ». La Cour des comptes s’exprimera aussi sur le sujet le 15 septembre prochain. Les experts de ces sujets savent très bien qu’il ne peut y avoir d’approche intelligente de ces problématiques que globale. Dit autrement, au-delà de la MDA, c’est la question de la retraite des femmes dans toutes ses dimensions qu’il faudrait traiter afin de réduire le risque de paupérisation qui se profile pour les femmes isolées âgées. Au lieu de quoi, on aborde le problème par le petit bout, le risque étant alors de faire se succéder des mesures incohérentes et de démanteler progressivement des dispositifs qui ont contribué à faire de la France le pays du monde où la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale a été plutôt une réussite si l’on en juge par la conjonction entre un taux d’activité féminine élevé et un taux de fécondité record. Bref, au moins au niveau de la méthode, la manière dont s’engage le débat n’est pas de bonne augure pour le débat de fond qui doit s’ouvrir en 2010 sur les retraites.
L’affaire est d’autant plus mal engagée sur la question immédiate des majorations familiales que la France est parfaitement isolée sur cette question en Europe. Au point qu’on peut parler d’un « modèle français » en matière de politique familiale, très différent des pays nordiques, qui accordent un soutien important en cas de jeune enfant, aux pays anglo-saxons qui ciblent l’aide sur les enfants d’âge préscolaire et les pauvres, et aux pays d’Europe du Sud qui accordent des aides plus limitées. Conséquence de cette spécificité française, le juge européen, qu’il siège à Luxembourg Cour de justice des communautés européennes) ou à Strasbourg (Cour européenne des droits de l’homme), a manifestement du mal à entrer dans la logique d’une aide à la maternité.LES FEMMES SONT GRAVEMENT PÉNALISÉESSeconde remarque qu’il faut avoir à l’esprit, même si la France, accorde une aide généreuse aux familles (3,8 % du PIB, soit le troisième rang de l’OCDE, où l’effort moyen est de 2,8 %), avec une couverture importante pour les enfants de moins de trois ans, cette aide ne résout pas tous les problèmes. D’une part, elle est fortement tributaire des contraintes budgétaires, avec pour conséquence d’accroître ou de réduire le niveau d’emploi. D’autre part, les travaux du COR ont montré que la conjonction de facteurs défavorables – une moindre participation au marché du travail, une fréquence accrue du temps partiel et un moindre niveau de rémunération – fait que partout en Europe, y compris en France, « la pension de retraite de droit propre – droits acquis à titre personnel, dont les droits familiaux – des femmes varie entre 48 % pour la France et 68 % pour la Suède de celle des hommes. Mais, preuve de l’importance des droits familiaux, la prise en compte des droits dérivés réduit cet écart qui varie alors entre 62 % pour la France et 78 % pour la Suède.Il va de soi que porter atteinte aux MDA des femmes – ce qui est inévitable dès lors qu’on pose en principe que l’on raisonne à enveloppe financière constante -, ne peut que dégrader leur situation dans une période marquée par la recrudescence du chômage et de l’intérim. Cela dit, la vraie difficulté n’est pas seulement là : elle tient aussi au fait, d’une part, qu’il n’est pas certain que le juge européen accepte l’idée d’une aide à la maternité excédant deux trimestres, d’autre part, que pour ce qui est des majorations liées à l’éducation des enfants on peut à la rigueur gérer l’avenir, mais on ne sait pas faire pour le stock.Les experts du ministère, de la Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse) et des syndicats ont beau tourner le problème dans tous les sens, il apparaît impossible de s’assurer que les majorations de durée d’assurance seront attribuées pour le passé à des personnes ayant effectivement éduqué leurs enfants. En tout cas, les éléments d’information dont dispose la Cnav ne permettent pas d’éviter des effets d’aubaine qui pourraient être redoutables. Et coûteux. Il suffit de voir comment des pères se font actuellement embrigader par des associations pour réclamer des trimestres au titre de la MDA pour comprendre que le danger est bien réel.REBELOTE SUR LA RÉVERSIONConséquence de cette situation, le gouvernement va devoir prendre des décisions dont il n’est pas du tout certain qu’elles seront les meilleures. Pire encore, dans le cadre de la grande remise à plat qui s’annonce à la mi 2010, il va naturellement de soi qu’il faudra y revenir et reprendre l’ensemble du dossier. Deux exemples donneront une idée de la nature des problèmes qui se posent.De la même façon qu’une menace pèse sur les MDA des mères de famille, une autre difficulté se profile pour leurs pensions de réversion. Compte tenu de l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes ces pensions versées en cas de disparition d’un conjoint bénéficient dans leur très grande majorité à des veuves. Or, s’il advient, comme le rapport de 2007 des sénateurs Claude Domeizel (PS) et Dominique Leclerc (UMP) le souligne que le partenaire survivant d’un Pacs bénéficie d’un droit à réversion, les conséquences à enveloppe financière constante seront là encore redoutables pour les veuves.Hypothèse d’école ? Pas seulement dès lors que le 24 mai 2008, le Journal officiel de l’Union européenne a publié un arrêt de la CJCE (Cour de justice des Communautés européennes) du 1er avril 2008, selon lequel un partenaire de vie du même sexe peut avoir droit à une pension de veuf octroyée par un régime de prévoyance professionnelle. Selon cette jurisprudence « Tadao Maruko », « une prestation de survie octroyée dans le cadre d’un régime de prévoyance professionnelle […] entre dans le champ de la directive 2000/78CE du Conseil du 27 novembre 2000 ». Partant de là, ne faut-il pas comme le suggéraient les auteurs du rapport « devancer l’appel » en étendant « aux personnes pacsées le bénéfice des pensions de réversion » et « l’envisager » pour les concubins avec enfants à charge. « Vos rapporteurs considèrent, écrivaient-ils, qu’il convient de tenir compte des nouvelles formes de vie en couple et en particulier de l’augmentation, au rythme de 60 000 par an, du nombre de Pacs enregistrés. Cette position constituerait, il est vrai, une sorte de révolution culturelle du droit de la réversion qui demeure encore fondé sur l’institution du mariage ».COMMENÇONS PAR POSER LES BONNES QUESTIONSSeconde raison pour laquelle une décision immédiate sur les MDA ne refermera pas le dossier, il y a fort à parier que la question d’un grand régime obligatoire en points sera sur la table l’an prochain. Il n’a pas échappé aux spécialistes en tout cas que la CFDT y réfléchit. Même si François Chérèque est porté à dire que la CFDT « a déjà donné en 2003 » et que c’est aux autres d’y aller, le secrétaire national en charge de la protection sociale, Gaby Bonnand, tout en s’entourant de précautions oratoires pour ne pas fâcher ses « camarades » a profité de la tribune que lui offrait l’université d’été du Medef pour s’interroger sur un rapprochement entre régime de base et régimes complémentaires.Au préalable, bien sûr, il faudra rapprocher l’Agirc de l’Arrco. Facile puisque les paramètres de fonctionnement sont désormais identiques. Sauf sur un point précisément, les droits familiaux qui ne sont pas attribués dans les mêmes conditions dans les deux régimes complémentaires mais auxquels personne n’ose toucher depuis l’accord Agirc de 1994 qui a conduit les gestionnaires du régime devant le juge qui les a condamnés pour avoir institué un coefficient de service sur les majorations pour famille nombreuses mais avec effet rétroactif.Partant de là on voit bien qu’il aurait fallu commencer par le commencement et se reposer la question de la finalité des avantages familiaux mis en place au lendemain de la guerre. Éléments d’une politique nataliste ? Compensation pour des carrières écourtées par les maternités ? Même chose pour les avantages conjugaux où l’on oscille entre une logique contributive et patrimoniale et une logique d’allocation sociale visant à garantir un certain niveau de revenu au conjoint survivant, lequel était une conjointe dans un contexte de travail presque exclusivement masculin. Se poser les bonnes questions à ce niveau permettrait aussi de s’interroger sur le sens que le juge donne aujourd’hui au mot discrimination au l’égard de l’article 119 du Traité de Rome.LES PRÉSUPPOSÉS SONT DÉJÀ IDÉOLOGIQUESPourra-t-on faire ce travail de clarification en 2010 ? Cela semble d’autant plus difficile que le débat qui s’est amorcé cette semaine par médias interposés entre Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT et Laurence Parisot, présidente du Medef, part déjà sur des présupposés idéologiques. Ainsi dans Le Monde (édition du 3 septembre), la présidente du Medef s’appuie, sans la citer, sur une étude de l’Insee (Les effets à rebours de l’âge de la retraite sur le taux d’emploi des seniors, Jean-Olivier Hairault, François Longot et Thepthida Sopraseuth, Économie et Statistique, n°37, 2006) pour affirmer que « le même homme de 57 ans n’a pas le même âge pour une entreprise selon qu’il est à 6 mois ou 6 ans de sa retraite ».Bernard Thibault a dès lors beau jeu de renvoyer Laurence Parisot à un nouveau sketch des « Guignols de l’Info » dans lequel on montrerait « que la vertu principale d’un recul de l’âge de départ en retraite serait de rajeunir les salariés aux yeux des entreprises ». Au-delà de la boutade, il reste tout de même une vérité, à savoir que lorsque l’âge de la retraite est de 60 ans la tentation est forte de partir à 58 ans, alors que si l’âge de la retraite était à 62 ans, le départ effectif serait plus probablement à 60 ans.Pour autant, la présidente du Medef serait mieux placée pour parler d’un recul de l’âge de la retraite si l’on n’était pas aujourd’hui dans une situation schizoprhénique qui a vu Brice Hortefeux célébrer les vertus de la retraite à 67 ans en Allemagne alors que les policiers dont il a la responsabilité aujourd’hui ont la possibilité de partir à 50 ans. Une situation encore où le Medef parle de repousser l’âge de la retraite à 62 ans alors que pour contourner la législation sur la retraite d’office à 70 ans qui entrera en vigueur le 1er janvier 2010, les employeurs profitent des 120 accords de branche étendus par le gouvernement en 2004 et 2005 sur la retraite d’office pour pousser à la porte des entreprises des dizaines de milliers de salariés de plus de 60 ans dès lors qu’ils ont acquis leurs droits à la retraite. Bref, un écart entre le discours et les pratiques qui explique pourquoi Gaby Bonnand a souligné avec force à l’université d’été du Medef que « ce n’est certainement pas à l’âge de la retraite qu’il faut toucher. Ce serait une mesure inique et injuste ». Bref, les positions à peine énoncées apparaissent déjà figées…