Ce serait le tiercé calamiteux : après le Brexit et la victoire de Donald Trump, l’élection de Marine Le Pen.
Cette troisième ferait imploser l’Europe fondée sur la réconciliation franco-allemande et l’Alliance atlantique. Hantise des Allemands et début de crainte des marchés financiers : l’écart entre les taux d’intérêt français et allemands à dix ans a doublé en quatre mois pour atteindre 0,78 %. Si Fillon s’effondre pour cause de « Penelopegate » et de programme jugé trop dur, seul restera en lice le jeune Emmanuel Macron pour empêcher l’avènement de l’extrême droite.
Trop longtemps, les Français se sont crus protégés du Front national, par ses origines vichystes et la folie de son programme dans un monde ouvert. Mais la donne a changé. D’abord, l’effort de dédiabolisation poursuivi par Marine Le Pen finit par être efficace auprès des moins avertis. On peut expliquer que, en citant de Gaulle, elle pense Pétain, peu importe la véracité du reproche : il ne porte plus vraiment.
Ensuite, les vents lui sont favorables : comment expliquer que la France court au désastre avec Le Pen, alors qu’elle suit presque naturellement le mouvement enclenché non seulement par Vladimir Poutine et les démocraties illibérales hongroises et polonaises, mais aussi par les anciens phares du monde libre, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ?
Trump fait pire que Le Pen sur le plan des valeurs et brise toutes les règles de la mondialisation économique régulée. Avec le Brexit, le Royaume-Uni a violé un tabou d’appartenance. Il donne le sentiment que sortir de l’UE est bénin, même si le cas britannique est spécifique, ce pays n’appartenant ni à l’euro ni à Schengen. Marine Le Pen, surfant sur les difficultés françaises indéniables, prétend faire comme les autres. Tout simplement.
L’expérience le montre avec Trump, les populistes tiennent leurs promesses. Pour mieux contrer le FN, il faut donc le prendre au mot. L’alpha et l’oméga du programme de Mme Le Pen tiennent dans son engagement de campagne numéro 1 (sur 144) : « Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique). Pour cela, une négociation sera engagée avec nos partenaires européens suivie d’un référendum sur notre appartenance à l’Union européenne. » La consultation aura lieu six mois après la présidentielle, a précisé Le Pen, qui prône le « rétablissement d’une monnaie nationale adaptée à notre économie ». Traduction : sortir de l’euro et revenir au franc dévalué.
Cette sortie de l’euro ne se ferait pas à froid, puisqu’elle suivrait le référendum français. Les marchés financiers vont donc anticiper une dévaluation. Demain vos euros vaudront un tiers de moins, quel beau slogan ! La panique sera complète : dès le printemps, chaque Français doté de jugeote ira ouvrir un compte en banque en zone mark tant qu’il en est temps et entassera des euros sous son matelas comme on le fait avec les dollars en Amérique latine. Résultat mécanique de cette fuite des capitaux, une envolée des taux d’intérêt.
On a déjà connu cela, c’était après les errements de mai 1981. Logiquement, Marine Le Pen imposera un contrôle des changes, comme à l’époque de Jacques Delors. Elle pourrait aussi bloquer les comptes d’assurance-vie des Français, dont la valeur s’effondrera avec la hausse des taux. Michel Sapin a justement fait adopter une loi en ce sens, mais Marine Le Pen a promis de l’abroger. Dans ce cas, seuls les initiés récupéreront leur argent à temps, et tant pis pour les personnes modestes et peu informées qui découvriront, un peu tard, que leur assurance-vie ne vaut plus rien.
Certes, mais dévaluer, c’est bon pour les exportations, assure le FN. C’est exact surtout pour un pays comme la France, qui exporte des produits très sensibles au rapport qualité-prix. Mais il existe deux contreparties violentes : les importations, pétrolières et de produits manufacturés, qui vont se renchérir et saper d’autant le pouvoir d’achat des Français. L’économiste Patrick Artus nous prédit 5 points d’inflation supplémentaires. L’affaire coûte 75 milliards d’euros, que ne compenseront pas les 40 milliards d’euros de pouvoir d’achat que prétend rendre Marine Le Pen aux Français.
Second sujet, les dettes : ce sujet n’existait pas dans les années 1990, la dette étant essentiellement détenue par les résidents. A l’époque, on se dévaluait entre soi. En 2017, Etat, particuliers, entreprises et banques devront rembourser aux non-résidents plus de 300 milliards d’euros brut, nous explique Artus.
Les entreprises tenteront de rembourser en pauvres francs, mais elles se verront saisir leurs biens dès qu’elles mettront le pied à l’étranger. Il en ira de même pour toutes les banques françaises, qui prétendront honorer leurs prêts interbancaires en pauvres francs. Pour les emprunts d’Etat, le FN prétend que la loi décidera que les remboursements se feront en francs. Il peut le faire, mais les agences de notation déclareront la France en faillite, laquelle sera incapable de se financer sur les marchés. Bref, un scénario argentin.
Marine Le Pen croit avoir trouvé la martingale dans sa proposition numéro 43 : « Sortir de la dépendance aux marchés financiers en autorisant à nouveau le financement direct du Trésor par la Banque de France. » Merveilleuse planche à billets. In fine, les Français se retrouveront noyés dans des billets de Monopoly, qu’ils essaieront de convertir en devises, d’investir dans la pierre ou de consommer. A la clé, dévaluation ou inflation. Comme le résume Benoît Cœuré, numéro deux de la BCE, sortir de l’euro, ce serait faire le choix de l’appauvrissement.
(source : lemonde)