Un accord-cadre « interbranches » en protection sociale pourrait redonner une marge d’action aux branches

Voici le texte de l’interview paru dans AEF :

Par Grégoire Faney

Pour retrouver une marge d’action en matière de pilotage de la protection sociale, les branches professionnelles, dans un contexte de disparition des clauses de désignation, doivent se doter de nouveaux outils. Dans une interview accordée à l’AEF, Laurence Lautrette, avocate associée au sein du cabinet d’avocats Laurence Lautrette & Associés, explique en quoi la création d’associations souscriptrices, à un niveau interbranches, permettrait de répondre aux besoins actuels des partenaires sociaux. Ces nouvelles instances, qui nécessiteraient toutefois une modification législative, permettraient de piloter les régimes au niveau interbranches, et joueraient le rôle d’intermédiaire avec les assureurs. Seule contrainte : « Cela nécessite que les partenaires sociaux négociateurs au niveau de la convention collective nationale, s’engagent à respecter les décisions prises au niveau interbranches. »

AEF : Quel serait l’intérêt d’utiliser les questions de protection sociale dans une optique de rapprochement interbranches ?

Laurence Lautrette : La protection sociale a l’avantage d’être une piste de coopération qui peut être menée sans impliquer forcément un rapprochement en termes de droit du travail. Étant traditionnellement un vecteur assez consensuel de négociations, la protection sociale peut donc servir de premier pas pour expérimenter un processus de rapprochement ultérieur sur d’autres champs. À la différence de la fusion intégrale, la conclusion d’un accord-cadre « interbranches » propre à la protection sociale permet également d’envisager un processus de rapprochement brique par brique, qui permette en même temps de maintenir des spécificités pour chaque branche. C’est un facteur de souplesse.

AEF : Mais vous dites que, d’un point de vue juridique, les branches manquent d’outils pour mener ces expériences de mutualisation sur la protection sociale ?

Laurence Lautrette : Il n’existe pas de commission paritaire interbranches. Dans le cadre d’un accord « interbranches », il faut donc mettre en œuvre une gouvernance permettant de piloter les couvertures de protection sociale au niveau interbranches spécifiques. On peut le faire par des dispositions spécifiques insérées dans l’accord interbranches. On peut aussi inventer au niveau interbranches un outil juridique, doté d’une personnalité morale, avec une gouvernance particulière, qui puisse prendre des décisions, se déclinant ensuite de manière obligatoire au niveau des branches parties prenantes. Une entité juridique répond en fait à ce type de besoin : Il s’agit de l’association souscriptrice. C’est un outil, prévu dans le code des assurances, qui est déjà utilisé, notamment pour souscrire des couvertures collectives à adhésion facultative. Cette association répond notamment aux contraintes de gouvernance démocratique.

AEF : Quel serait le rôle précis de cette association souscriptrice interbranches ?

Laurence Lautrette : Dotée d’une personnalité morale, à la différence d’une commission paritaire de branche, cette association pourrait contractualiser avec les assureurs au nom des branches représentées, se doter de personnels, éventuellement héberger des bases de données, etc. Elle serait l’intermédiaire des partenaires sociaux avec les assureurs. Son statut lui permet aussi d’être contrôlée par l’ACPR, ce qui serait nécessaire au vu de ses responsabilités et de son rôle et constitue un gage de sécurité vis-à-vis des assurés. Elle représente également un bon niveau pour mettre en œuvre une politique d’action sociale et de prévention identique pour tous les salariés de la branche. Enfin, elle peut servir de plate-forme de partage de moyens pour différentes branches avec de proches problématiques.

AEF : Votre proposition ne se traduit-elle pas par une perte de pouvoir pour les branches, du fait de cette délégation de tâches ?

Laurence Lautrette : L’élargissement de la mutualisation renforce les moyens au niveau interbranches, mais elle implique d’être prêts à une forme de délégation de pouvoirs du niveau des branches vers le niveau interbranches. Le niveau de gouvernance doit correspondre au périmètre de mutualisation. Cela nécessite que les partenaires sociaux négociateurs au niveau de la convention collective nationale, s’engagent à respecter les décisions prises au niveau interbranches. Cela sous-entend donc que la gouvernance interbranches représente bien correctement toutes les parties pour éviter les problèmes de légitimité.

AEF : Pourquoi le besoin d’une telle structure se ferait-il plus sentir aujourd’hui qu’hier ?

Laurence Lautrette : Il y a bien sur le contexte actuel d’incitation au rapprochement entre branches. Mais sur le champ plus précis de la protection sociale, la fin des assureurs désignés a aussi laissé un vide. Jusqu’ici, ces derniers jouaient souvent le rôle d’outil de mise en œuvre pour le compte de la CPN La désignation permettait aux partenaires sociaux d’avoir un interlocuteur unique pour centraliser leur politique de branche. Aujourd’hui, cette relation privilégiée avec un seul assureur désigné n’est plus possible et l’association souscriptrice devient donc une vraie réponse, qui redonne des marges d’actions aux branches.

AEF : Quels obstacles restent-ils pour la mise en place d’une telle solution ?

Laurence Lautrette : Il n’est pas possible juridiquement, à ce jour, de créer des associations souscriptrices à forme paritaire pour des couvertures prévoyance. Cela demanderait donc une évolution législative pour donner une forme paritaire à ces associations, sur le champ de la prévoyance. Pour la couverture santé, c’est déjà techniquement faisable, mais cela demande d’articuler la mise en œuvre d’une couverture obligatoire avec la liberté d’adhésion à une association.

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