la protection sociale… et…. (voir en dessous)

Comment la question de la santé au travail s’est invitée dans le quotidien des entreprises (Rencontre Adéis)Par Arnaud Lavorel
Le groupement de prévoyance Adéis, qui organise chaque année une rencontre pour réunir les partenaires sociaux des branches professionnelles avec lesquelles il collabore, a consacré, ce jeudi 20 novembre 2014, la 3e édition de cette manifestation consacrée à la « santé au travail ». Selon un baromètre réalisé cet automne par le cabinet Technologia pour le compte d’Adéis (1), plus du tiers des salariés interrogés ont déclaré au moins un arrêt de travail au cours des 12 derniers mois. Dans ce contexte, les participants à la table ronde organisée dans le cadre de ces rencontres ont souligné le rôle que pouvaient tenir les branches et les organismes de prévoyance, notamment en développant les actions de prévention. Clôturant ces rencontres, Luc Ferry, a replacé cette évolution dans une perspective philosophique et prédit un développement « exponentiel » de la question du bien-être au travail.

« Pour être bien au travail, il faut avoir l’impression de bien faire son travail, avoir du plaisir au travail, être reconnu(e) et se sentir utile ». Le constat fait par le médecin du travail, Agnès Martineau Arbes, à l’occasion d’une table ronde de la 3e rencontre d’Adéis témoigne de la difficulté à réunir toutes les conditions pour assurer la santé de ses salariés. Et pas seulement la leur car, comme le souligne Olivier Torres, président d’Amorok, un observatoire sur la santé des dirigeants de PME, le bien-être du dirigeant a une conséquence directe sur celui des salariés. Pourquoi porte-t-on aujourd’hui autant d’attention sur le bien-être au travail avec la signature en juin 2013 du premier accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail (2) ? Parce que « les attentes des usagers (ou des clients) sont aujourd’hui différentes, les contraintes de travail sont nouvelles et les salariés ont des attentes nouvelles », résume Hervé Lanouzière, directeur général de l’Anact.

DE L’OBLIGATION DE RÉPARATION À L’OBLIGATION D’ANTICIPATION

Du point de vue du droit, le contenu juridique de la notion de santé au travail a beaucoup évolué au cours du dernier demi-siècle et Laurence Lautrette, avocate spécialisée dans la protection sociale, en a rappelé les étapes. Concrètement, « nous sommes passés de la sécurité au travail à la santé puis de la santé physique à la santé morale ». La traduction de cette évolution en termes juridiques c’est le passage de « l’obligation de réparation » à « l’obligation de prévention », puis à « l’obligation d’anticipation ». Dans la société industrielle, le salarié était un « outil humain » qu’il fallait protéger mais c’était à lui de prouver qu’il avait été « abîmé » par le travail. On est ensuite passé à la notion de santé physique. Dans ce cadre, c’était à l’employeur de « démontrer qu’il avait fait ce qu’il fallait pour préserver la santé de ses salariés ». Enfin, depuis 2002, cette obligation de moyen est devenue une obligation de résultat et le juge présume que la pathologie est née de la situation de travail.

Ainsi, pour éviter les risques psycho-sociaux, souligne Agnès Martineau Arbes, il est primordial qu’il y ait un « discours de confiance » et un respect mutuel entre les managers et les salariés. Il y a très peu de salariés qui ne souhaitent pas faire leur travail et très peu de managers qui sont des harceleurs. Mais la « maladresse managériale » et l’absence de clarté dans le discours peuvent générer de la souffrance au travail et des épisodes dépressifs chez les salariés. « On parle beaucoup de risques psycho-sociaux pour les salariés mais rarement chez les dirigeants », fait valoir Olivier Torres en pointant le fait qu’il n’existe pas de service de santé au travail lorsqu’on est à son compte même s’il concède, avec Agnès Martineau Arbes, qu’un patron de PMI peut tout à fait s’inscrire et cotiser à un service de santé au travail pour bénéficier d’un suivi.

De manière plus concrète, de quels moyens disposent les branches pour développer la santé des salariés ? « Les branches peuvent définir un certain cadre mais l’entreprise a quand même un rôle important à jouer », souligne Jean-Paul Lacam, délégué général du Ctip. Car « les branches n’auront jamais la connaissance exacte de ce qui se passe dans l’entreprise ». Et, dans ce contexte, les institutions de prévoyance ont une carte à jouer pour se démarquer des autres acteurs de l’assurance. Laurence Lautrette, avocate spécialisée dans la protection sociale fait ainsi valoir que les institutions de prévoyance qui sont adossées à des caisses de retraite complémentaires (qui couvrent tous les salariés d’une branche, depuis le début de la vie active jusqu’au terme de la retraite) bénéficient par ce biais d’un outil statistique « très riche », et partant, « les possibilités d’organiser des actions de prévention sont quasiment infinies ». Par ailleurs, étant gérées paritairement, elles peuvent constituer un tiers de confiance aussi bien auprès des employeurs que des salariés pour « déminer des problématiques de management ».

Les principaux chiffres du baromètre QVT de Technologia.
71 % des répondants sont satisfaits de leur situation professionnelle,
39 % considèrent néanmoins leur activité comme « éprouvante »,
26 % considèrent que leur santé s’est dégradée au cours des  » dernières années,
35 % ont connu et déclaré au moins un arrêt de travail au cours de l’année écoulée,
52 % estiment que leur charge de travail a augmenté (celle-ci est « stable » pour 37 % d’entre eux et en baisse pour 11 %),
2/3 des répondants jugent « favorable » l’ambiance de travail.
LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL

Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry, qui clôturait ces rencontres est revenu sur les principaux enseignements tirés de l’étude des travaux des économistes du bonheur : le sentiment de stress et de perte d’autonomie s’est fortement développé depuis une génération (avec comme question sous-jacente : les conditions de travail se sont-elles réellement dégradées ou bien s’écoute-t-on davantage ?), la crainte du chômage est devenue le principal facteur de stress dans l’entreprise et le civisme d’entreprise est très peu développé en France (seuls 23 % accepteraient de travailler plus pour le même salaire pour sortir leur entreprise d’une difficulté contre 58 % en Europe). Pourquoi la prise en compte de la souffrance au travail est-elle devenue si importante ?

Pour Luc Ferry, cela tient sans doute au fait qu’en France, société dont les fondements sont catholiques, la « théologie de la souffrance » qui valorisait cette dernière a longtemps prévalu avec comme corolaire le fait de considérer la maladie comme un possible « chemin de conversion », à l’inverse des sociétés protestantes et particulièrement des sociétés anglo-saxonnes qui s’appuient sur une philosophie utilitariste (dans laquelle, schématiquement, une action est bonne quand elle augmente la quantité de bonheur). Cette valorisation de la souffrance a tendance à reculer depuis les années 60 avec l’émergence d’une morale de l’épanouissement de soi (par opposition à la morale méritocratique, héritée de la Révolution mais dont les racines sont également catholiques et qui repose sur le travail). Conséquence : « cette question du bien-être au travail va monter de manière exponentielle dans les années à venir et c’est plutôt une bonne nouvelle, même si on peut avoir le sentiment qu’à force de monter vigoureusement sur le cheval on est peut-être en train de passer de l’autre côté », conclut Luc Ferry.

(source AEF)

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