IL N’Y A PAS QUE LA SECU DANS LA VIE…

Même quand on adore sa spécialité,
Même quand on traite des dossiers passionnants,
Même quand on a le sentiment de faire oeuvre utile en retrouvant beaucoup de ses idées dans la réécriture de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale,
on peut encore admirer certains confrères qui sont de « vrais » avocats… qu’on l’aime ou pas, Eric Dupond-Moretti est de ceux-là. Tant mieux pour ses clients.

Le Monde.fr | 31.10.2013 à 18h21)

Le docteur Muller a décroisé les mains qu’il tenait jointes devant sa bouche depuis neuf jours. Il a ôté ses lunettes, plongé son front rougi dans sa main droite, et a fondu en larmes. Dans le public, des gémissements ont commencé à s’élever, de longs sanglots de soulagement. Figé dans l’attente durant toute la durée de son procès, Jean-Louis Muller s’est effondré tête la première sur la rambarde du box des accusés, qu’il retrouvait pour la troisième fois en cinq ans.
Condamné deux fois à vingt ans de prison pour le meurtre de son épouse, Brigitte Muller, retrouvée morte au domicile familial le 8 novembre 1999, Jean-Louis Muller a été acquitté, jeudi 31 octobre, par la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle, quatorze ans après la mort de sa femme, à l’issue d’un parcours judiciaire hors norme.

Que s’est-il passé, le soir du 8 novembre 1999, dans le sous-sol du pavillon du couple Muller et de ses deux enfants, à Ingwiller, dans le Bas-Rhin ? Brigitte, jolie documentaliste de 42 ans, passionnée de littérature et d’Italie, s’est-elle tiré une balle dans la tête avec le 357 Magnum de son mari ? Jean-Louis Muller, médecin généraliste, a-t-il abattu sa femme dans la cave avant de maquiller la scène de crime en suicide ? A ce jour, aucune des deux thèses n’est exclue. Mais rien, au terme de ce troisième procès, n’a permis de privilégier l’une par rapport à l’autre.

Ce soir là, à 21 h 24, Jean-Louis Muller appelle la gendarmerie : « Il y a ma femme qui vient de se suicider. » Deux agents arrivent sur les lieux à 21 h 55. Ils découvrent, allongé sur le dos derrière une grande table en « L » sur laquelle est installé un train électrique, le corps sans vie de Brigitte Muller, la boîte crânienne en partie arrachée, la moitié du cerveau expulsée, un 357 Magnum à ses pieds. La thèse du suicide s’impose rapidement. Le 21 février 2000, le parquet classe l’affaire sans suite.

Mais la famille de Brigitte refuse de croire qu’elle s’est donné la mort. La femme du docteur Muller « n’était pas suicidaire », elle venait de rencontrer un homme, chercheur au CNRS de Strasbourg, et songeait à s’émanciper de son rôle de bonne épouse et de mère. Tel est, pour l’accusation, le mobile du crime. Le 19 octobre 2000, une information judiciaire est ouverte pour « meurtre ». Le docteur Muller est condamné en première instance en 2008, puis de nouveau en appel deux ans plus tard, avant que le verdict ne soit annulé – fait rare – par la Cour de cassation, le renvoyant devant la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle.

LE POISON DU DOUTE

Comme lors des deux premiers procès, le parquet a requis, jeudi, vingt ans de réclusion criminelle. Cette fois-ci, le jury ne l’a pas suivi. Pendant les quatre heures qu’ils ont passé enfermés dans la chambre de délibération, les neuf jurés ont échangé et interrogé leur conscience pour répondre à une question : « Avez-vous une intime conviction ? » Ils ont passé en revue les preuves et sondé leur doute, censé bénéficier à l’accusé, mais qui est parfois un poison pour l’esprit.

Un poison qu’a tenté de chasser l’avocat général, Jacques Santarelli, s’évertuant à expliquer que si Brigitte ne s’était pas suicidée, c’est que son mari l’avait donc tuée. Face aux conclusions fluctuantes des analyses scientifiques, il a exhorté les jurés à aller « plus loin » que « la prudence des experts ». « Il a tué la mère, il a tué la femme. Ça mérite vingt ans de prison », a conclu le représentant du parquet en recadrant une mèche rebelle.

Prudents, les experts qui ont défilé à la barre pour tenter d’expliquer ce drame à huis clos ne l’ont pas toujours été. Leur autorité a cependant suffi à distiller un sentiment de malaise sur ce procès. Pourquoi le 357 Magnum retrouvé ensanglanté aux pieds de la victime ne portait-il aucune empreinte ? Pourquoi a-t-on retrouvé plus de résidus de poudre sur les mains du docteur Muller, qui a découvert le corps, que sur celles de sa femme ? Mises bout à bout, ces questions ont dessiné en creux le portrait d’un crime savamment maquillé par un homme présenté comme « intelligent », excessivement « rationnel » et « paranoïaque », qui n’aurait pas supporté l’idée que sa femme voie un autre homme.

Rien n’est venu confirmer cet hypothétique mobile, Jean-Louis Muller ayant toujours nié avoir eu vent de cette relation « platonique ». Les conclusions des experts, souvent contradictoires, n’ont pas davantage permis de reconstruire un récit cohérent de la soirée du 8 novembre et de chasser le doute. Des doutes dans lesquels s’est engouffré Eric Dupond-Moretti, spécialiste des acquittements spectaculaires. Les enquêteurs ayant toujours refusé à Jean-Louis Muller la reconstitution qu’il réclame depuis le début, l’avocat avait fait venir la fameuse table en « L » dans l’enceinte de la cour d’appel de Nancy. Assisté de sa collaboratrice, Alice Cohen-Saban, il a mimé l’ »impossible » meurtre, crime qui, selon lui, n’a pas pu avoir lieu dans la cave du pavillon. Et de nouvelles questions se sont ajoutées à celles de l’accusation.

Prenant position autour de la table au milieu de la salle d’audience, pour ce qui restera comme un des moments forts de ce procès, l’avocat place son assistante : face aux planches, à l’endroit où Brigitte devait, selon toute vraisemblance, se trouver au moment du coup de feu. Il incarne alors, physiquement, les deux théories des experts en balistique.

« VOTRE RÉQUISITOIRE EST UNE RATATOUILLE »

Première hypothèse : Muller était collé derrière son épouse au moment du tir qui a eu lieu à bout portant, ou très proche du crâne. Eric Dupond-Moretti se colle derrière sa collaboratrice. Dans ce cas, comment son corps a-t-il pu ne pas faire obstacle aux projections organiques qui maculent les trois murs entourant la scène du crime ? « Im-pos-sible », martèle l’avocat. Deuxième hypothèse : Muller se tenait à distance, mais les experts en doutent au vu de la position du corps et de l’impact du projectile sur le crâne. Il aurait alors jeté, après avoir fait feu, le Magnum aux pieds de son épouse à travers la table en « L », en espérant viser juste. Magnum qui portait des traces organiques sur ses deux faces. Les résidus de poudre ? La main droite de Brigitte était coincée sous son pantalon, qui les aurait en partie absorbés, tandis que ceux retrouvés sur les mains du Dr Muller seraient liés aux dépôts du nuage aérosol.

Cote après cote, question après question, Dupond-Moretti déconstruit le dossier de l’accusation. « Ce que vous ne démontrez pas, ça n’existe pas. Votre réquisitoire est une ratatouille », lance-t-il à l’adresse de l’avocat général. Se tournant vers les jurés : « Mesdames et messieurs, on n’est pas au café du commerce ici, il y a quelques règles. » Et de conclure : « Si vous le condamnez, vous aurez jugé. Mais vous n’aurez pas rendu justice. »

7 réponses à to “IL N’Y A PAS QUE LA SECU DANS LA VIE…”

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