la clause de désignation dans un accord de prévoyance

Les arrêts de la Cour de cassation sur la clause de désignation dans un accord de prévoyance sont conformes aux textes (J. Barthélémy)
La Cour de cassation confirme une nouvelle fois, dans deux arrêts du 5 décembre 2012, qu’une clause d’un accord professionnel (ou interprofessionnel) de prévoyance, en l’espèce de la boulangerie pâtisserie artisanale, peut imposer aux entreprises d’adhérer au régime prévu par l’accord auprès de l’organisme de prévoyance désigné par celui-ci, même si les entreprises ont déjà souscrit un contrat auprès d’un autre organisme. Jacques Barthélémy, avocat associé fondateur du cabinet Barthélémy, estime, dans une note adressée à l’AEF, que la jurisprudence de la Cour de cassation est conforme à la lettre et à l’esprit des textes visés (C. trav., art. L. 2253-3, CSS., art. L. 912-1). Jacques Barthélémy adopte ainsi une position différente de celle de Frank Wismer pour qui les arrêts de la Cour de cassation prêtent à discussion (AEF n° 175586).

La Cour de cassation relève que selon l’article L. 912-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, lorsqu’un accord professionnel ou interprofessionnel de prévoyance s’applique à une entreprise qui, antérieurement, a souscrit un contrat auprès d’un organisme différent de celui prévu par l’accord « pour garantir les mêmes risques à un niveau équivalent », les dispositions du second alinéa de l’article L. 2253-2 du code du travail s’appliquent. Ce texte prévoit que si une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel s’applique dans l’entreprise après à la conclusion d’un accord d’entreprise, les dispositions de l’accord sont adaptées en conséquence.

Pour la Cour de cassation, l’adaptation en matière de garantie de niveau équivalent consiste nécessairement dans la mise en conformité de l’accord d’entreprise avec l’accord professionnel ou interprofessionnel de prévoyance imposant l’adhésion de l’entreprise au régime garanti par l’institution désignée par celui-ci.

Pour Frank Wismer, si l’article L. 2253-3 du code du travail interdit à un accord d’entreprise de déroger à un accord professionnel ou interprofessionnel de prévoyance, « cette interdiction ne vise pas explicitement l’hypothèse d’un accord d’entreprise de niveau supérieur conclu antérieurement à l’accord de branche. Considérer que cet article est de portée générale et interdit toute forme de dérogation à la désignation est pour le moins surprenant ».

DÉROGATION DE L’ACCORD D’ENTREPRISE À L’ACCORD DE BRANCHE

Pour Jacques Barthélémy, ce n’est qu’à l’accord de branche organisant une mutualisation pour pouvoir décliner un objectif de solidarité (donc assorti d’une clause de désignation) que l’accord d’entreprise ne peut pas déroger. Deux raisons justifient cette solution.

Il y a d’abord la lettre de l’article L. 2253-3 du code du travail, qui vise non l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, qui porte sur les accords de prévoyance en général, mais l’article L. 912-1, qui porte sur les seuls accords instaurant licitement une clause de désignation.

Il y a surtout l’esprit du texte. « Du fait du provisionnement des engagements résultant de la loi Évin du 31 décembre 1989, les systèmes de prévoyance résultant d’un accord collectif se contentant de fixer la nature et le niveau des garanties matérialisent un élément de rémunération. Celui-ci est identifié par le fait d’être assuré, et le montant de l’avantage, c’est la cotisation, car elle évalue actuariellement le risque. En matière de salaire, il n’y a qu’au salaire minimum professionnel (SMP) de branche qu’un accord d’entreprise ne peut pas déroger en vertu de la loi du 4 mai 2004, solution logique puisque d’un côté le SMP a la même fonction (sociale) que le Smic, d’un autre côté si on pouvait y déroger, il ne serait plus un minimum. »

Il n’y a donc, s’agissant de tous les autres éléments de rémunération issus de la convention de branche, interdiction de déroger (sous-entendu « in pejus », en moins favorable) que si un dispositif de ladite convention le prévoit, et bien sûr à condition que l’accord concerné ait été conclu postérieurement à la date de publication de la loi du 4 mai 2004.

Ce qui justifie qu’on ne puisse pas déroger, précise l’avocat, c’est que « l’accord de branche, en créant un régime, poursuit un objectif de solidarité qui exige la mutualisation, dans un pot commun, des cotisations de toutes les entreprises, faute de quoi, pour reprendre l’expression de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) dans son arrêt du 3 mars 2011, l’institution désignée ne pourrait pas assumer la mission d’intérêt général économique que les partenaires sociaux lui ont confiée ». Il reste possible de prévoir des niveaux de prestation plus élevés dans une entreprise, par accord collectif, référendum ou décision unilatérale, mais l’assureur retenu à ce niveau ne pourra gérer que les prestations additionnelles. Cette vision, on la retrouve dans l’arrêt Albany de 1999 de la CJUE (1).

POUR LA CJUE ET LA COUR DE CASSATION LA CLAUSE DE MIGRATION EST VALIDE

La validité de la clause de migration (obligeant les entreprises ayant mis en place des garanties similaires avant l’entrée en vigueur de l’accord de branche) a été admise par un arrêt de la CJUE (3 mars 2011), que les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation des 21 et 27 novembre 2012 déclinent, ainsi que ceux du 5 décembre 2012, rappelle Jacques Barthélémy. « Elle est la conséquence naturelle d’un degré élevé de solidarité qui écarte tout caractère abusif à l’éventuelle position dominante. »

« Au plan du droit interne, la clause de migration a été considérée par la chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 octobre 2007, comme la concrétisation de l’adaptation, au sens de l’article L. 2253-2 du code du travail (ex-L 132-23). Cette interprétation au sens du 2e alinéa de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est forte, dans la mesure où elle a été exprimée à l’occasion d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État. » En outre, l’expression utilisée dans ces arrêts de 2012 est celle figurant déjà dans cet arrêt de 2007.

« Cette interprétation ne saurait être appauvrie par les attendus d’un autre arrêt de 2005 de la 2e chambre civile de la Cour de cassation, au constat de ce que les signataires d’un accord de branche n’avaient pas prévu de clause de migration, l’arrêté d’extension du ministre du Travail ne pouvant être annulé, au vu de la seule exigence légale d’adaptation, par le fait que cet acte administratif ne visait pas les entreprises ayant déjà mis en place des garanties similaires. » En d’autres termes, et contrairement à ce qui est parfois écrit, il n’y a pas contradiction de jurisprudences entre ces deux chambres. (source AEF)

Cour de cassation, deuxième chambre civile, 5 décembre 2012, n° 11-24.233 et n° 11-18.716.

4 réponses à to “la clause de désignation dans un accord de prévoyance”

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