C’est l’épilogue d’un long feuilleton démarré avec la réforme des retraites de 2003 qui imposait de redéfinir ce qu’est un régime collectif et obligatoire. La perception de l’administration du travail ne coïncidant pas avec celle de la sécurité sociale, puis les jurisprudences de la Cour de Cassation du 1er juillet 2009 (arrêt Pain) et du 8 juin 2011 sur les raisons objectives et pertinentes permettant de définir une catégorie dans l’entreprise avaient passablement brouillé les cartes. Au point qu’après plusieurs tentatives infructueuses pour réglementer cette matière, la DSS s’était vu confier par l’article 17 de la LFSS 2011, le soin de reprendre le dossier et de mettre au point un décret visant à apporter une plus grande sécurité juridique aux entreprises. Ce texte est prêt (cf document joint). Il a été soumis pour avis aux assureurs et aux juristes et passe actuellement devant le Conseil d’État. Il devrait donc être prochainement publié au Journal officiel.
LA NOTION DE CADRE A ÉVOLUÉ
1/ La pratique est très ancienne de réserver des avantages de prévoyance aux cadres. La mise en place d’un régime de retraite propre y a contribué fortement. D’abord, l’existence de l’Agirc a, en elle-même, renforcé la notion de cadre ; même si, à défaut de définition légale, celle-ci ne peut qu’être fonctionnelle et, de ce fait, varier suivant le domaine pour lequel on la sollicite, l’importance d’un régime de protection sociale visant l’ensemble du secteur privé du fait de la source créatrice (un accord national interprofessionnel) et de la loi de généralisation du 29 décembre 1972 confère à cette notion une réelle solidité. Ensuite, l’obligation, résultant de l’article 7 de cet accord (la convention collective nationale du 14 mars 1947), pour cette catégorie de travailleurs de couvrir la prévoyance et au moins le décès.
Ceci étant, à défaut d’être définie par la loi, la notion de cadre ne peut qu’être fonctionnelle ; elle a de ce fait potentiellement un sens différent suivant les domaines pour laquelle on l’invoque, eu égard bien sûr à la finalité de chacun de ces domaines. Certes, le Code du travail lui-même brouille parfois les cartes, par exemple en faisant référence à la convention collective nationale du 14 mars 1947 (ce qui est surprenant puisqu’il est impossible à la loi de se déterminer par rapport à un contrat) s’agissant de règles spécifiques en matière de durée du travail. Eu égard au caractère fonctionnel de la notion de cadre, celle-ci ne peut qu’être malmenée du fait des mutations profondes du travail initiées par les progrès des TIC. Dans les organisation hiérarchiques, Tayloriennes du travail inspirées de la civilisation classiquement industrielle, non seulement le cadre a une justification à partir de la participation à un service organisé, critère alors exclusif de la subordination juridique, mais encore son identification dans les grilles des emplois est aisée. Il en sera de moins en moins vrai au fur et à mesure de la construction de la civilisation du savoir qui permet à de plus en plus de travailleurs d’avoir un accès direct et immédiat à l’information et à la connaissance.
Ce qui est – et sera de plus en plus – déterminant, ce n’est pas l’appartenance à une catégorie identifiée de manière réglementaire (les fameux arrêts Parodi-Croizat qui continuent, malgré le recours à l’évaluation qualitative des emplois, de conditionner des classifications) mais d’une part le degré d’autonomie donc de responsabilité, d’autre part la capacité plus ou moins grande du contrat individuel à faire (seul) la loi des parties au sens de l’article 1134 du Code civil.
FAIRE CONVERGER LE DROIT DU TRAVAIL ET CELUI DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Les progrès technologiques influençant une évolution sociologique, il n’y a rien d’anormal à ce que la Cour de cassation affirme – et ce n’est pas d’hier – que la seule qualification de cadre est impuissante à créer une situation juridique exceptionnelle. La jurisprudence des années 1990 sur les temps de travail des cadres en atteste superbement. C’est d’elle qu’est né le régime des forfaits jours qui certes concerne certains cadres mais peut viser d’autres catégories dès lors que justement les conditions de travail sont caractérisées par un fort degré d’autonomie.
Aborder sous cet angle la délicate question du principe d’égalité de traitement et sa déclinaison dans le droit du travail d’un côté, dans le sort social et fiscal des cotisations de protection sociale complémentaire d’un autre côté, c’est permettre de quitter le terrain d’une approche technique qui ne peut que sombrer à partir d’une règle dont on ne mesure pas complètement la portée profonde, dans une dérive technocratique. Cette dérive est d’autant plus à craindre en cette matière que les « travaillistes » ne vont se préoccuper que de l’impact sur les conditions de travail tandis que ceux s’intéressant aux garanties collectives de prévoyance procèderont à des constructions en fonction de l’impact sur l’assiette des cotisations de sécurité sociale. Or, le souci de sécurité juridique invite à poser la règle de la nécessaire convergence de principe des droits du travail et de la sécurité, les divergences ne pouvant être alors justifiées que par les effets de la finalité propre de chaque discipline.
Au cas précis, la notion de catégorie professionnelle (et pas seulement de la division cadre-non cadre) gagne à être œcuménique dans les droits du travail et de la sécurité sociale, peu important qu’ensuite elle se décline avec des nuances eu égard au domaine particulier pour lequel on se réfère à l’égalité de traitement, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elle est d’essence constitutionnelle.Une vision exacte de la situation, à l’instant « t », en raison du poids de la jurisprudence en la matière est nécessaire par souci de maîtrise parfaite du droit positif. Cela implique inévitablement, malgré ce qui précède, que l’on aborde la question successivement en droit du travail puis en droit de la sécurité sociale. Ce n’est qu’ensuite que pourront être explorées des pistes visant à l’optimisation de ce droit, notamment par la concrétisation de l’unification des deux disciplines.
I – L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT DU TRAVAIL
La Cour de cassation a peu à peu élevé la règle légale de l’égalité de salaire entre hommes et femmes en principe d’égalité de traitement visant l’ensemble des travailleurs et, au-delà des rémunérations, de l’ensemble des conditions de travail. Une telle affirmation peut s’avérer contestable. En effet, le Code du travail traite d’un principe d’égalité de traitement, au-delà de la seule prohibition des discriminations en fonction du sexe, en particulier sous la forme d’une clause obligatoire des conventions collectives susceptibles d’être étendues. Le mythique arrêt Ponsolle a toutefois consacré le principe en jurisprudence. Affirmant progressivement sa doctrine, la Cour de cassation en est venue à soutenir que l’appartenance à une catégorie et des droits spécifiques d’essence conventionnelles n’étaient pas, en eux-mêmes, suffisants pour justifier des différences. L’arrêt Pain du 1er juillet 2009, qui consacre cette règle, a fait l’effet d’une bombe mais il était pourtant prévisible eu égard aux arrêts précédents.
La Cour de cassation n’interdit évidement pas des différences suivant les personnes mais l’expression « à travail égal salaire égal » optimisée pour s’appliquer à l’ensemble des conditions de travail et d’emploi suppose des raisons objectives pour justifier les différences, raisons objectives dont le juge de fond a non seulement en charge de contrôler la réalité (ce qui est tout à fait logique) mais aussi la pertinence (ce qui peut justifier une critique notamment au nom de l’atteinte au pouvoir de direction).
Pour la juridiction suprême, l’application par une entreprise d’un dispositif conventionnel n’est pas en soi une raison objective. Sans doute faudrait-il conduire plus avant l’analyse en distinguant les actes juridiques (décision unilatérale, mais aussi accord d’entreprise) dont l’employeur est acteur (et qui donc engagent sa responsabilité) et ceux (conventions et accords de branche) dont il est sujet. En outre rendre bénéficiaires, en invoquant le principe d’égalité, des travailleurs hors du champ d’un avantage catégoriel, c’est mépriser la qualification juridique de tout accord collectif, ayant certes des caractères de loi professionnelle mais dont les aspects contractuels sont prééminents. En d’autres termes, cette jurisprudence tend à bafouer la nature contractuelle de toute convention, ne serait-ce qu’en écartant que l’accord est un compromis ayant pour conséquence l’indivisibilité des différents avantages consentis les uns en contrepartie des autres, mais aussi à écarter la volonté des parties, leur consentement ayant été consacré du fait de l’économie générale du dispositif (donc notamment de son coût).
QUELQUES MENUS ASSOUPLISSEMENTS
En raison sans doute des commentaires critiques d’une partie de la doctrine mais aussi des protestations de certaines organisations syndicales qui voient dans cette jurisprudence une remise en cause de leur autonomie dans la construction des normes, la chambre sociale atténuait, dans des arrêts du 8 juin 2011, la rigueur de sa construction prétorienne. Repose dès lors sur une raison objective et pertinente :
- la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle,
- dès lors que cette différence a pour objet ou but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés d’une catégorie déterminée ;
- Tenant notamment compte (donc pas exhaustif) aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution des carrières et aux modalités de rémunérations.
Bref – et pour illustrer cet arsenal dans un domaine sensible – la qualification de cadre ne justifie en elle-même ni des congés supplémentaires, ni des préavis et indemnités de licenciement spécifiques…. ni des garanties de prévoyance et(ou) de retraite supplémentaire réservées aux cadres et plus favorables que celles prévues pour les ouvriers-employés.
Au vu de différences considérées comme ne reposant pas sur une raison objective, le juge du fond peut –en raison de cette jurisprudence – condamner une entreprise à verser des prestations à des salariés n’appartenant pas à une catégorie de personnel pour laquelle a été mis en place un système de prévoyance. Au demeurant – et si on ne conteste pas la règle, la conséquence ne devrait-elle pas être la nullité du dispositif plutôt que la généralisation de l’avantage ? Mais il est vrai que cette seconde solution s’applique aussi pour le non respect de la prohibition des discriminations ; et ceci résulte aussi bien du juge communautaire que du juge interne.
II – L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE
1/ Le premier alinéa de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale donne de la notion de revenu du travail un sens plus large que ce qui résulte de la notion de salaire en droit du travail. Sont concernées toutes sommes versées en contrepartie ou à l’occasion du travail, directement ou indirectement par l’employeur. Les contributions patronales finançant des garanties collectives de retraite et de prévoyance sont donc, au plan théorique, des salaires au sens de la législation de la sécurité sociale. C’est ainsi qu’a jugé la Cour de cassation avant que la loi du 29 décembre 1979 et son décret du 23 juillet 1985 ne viennent tempérer cette règle. En matière fiscale, il en est de même : la cotisation patronale est à ajouter à l’assiette de l’impôt sur le revenu et la cotisation salariale n’en est pas déductible. Ceci vaut pour les systèmes individuels (avantage accordé à un salarié particulier) et pour les systèmes collectifs à adhésion facultative. Par contre, une règle de neutralité, tant fiscale que sociale, existe s’agissant des systèmes collectifs et obligatoires.
Cette distinction concrétise une différence de nature juridique de ces systèmes ; les systèmes collectifs à adhésion facultative sont une activité sociale, dont la gestion directe peut être revendiquée par le comité d’entreprise dans le cadre de ses attributions dans l’ordre social si cette institution n’est pas dotée de la personnalité civile (cas d’un contrat d’assurance collective par exemple) ou qui est placée sous son contrôle s’il s’git d’une personne morale (ex : mutuelle d’entreprise). Au contraire, les systèmes collectifs et obligatoires sont un élément du statut collectif du personnel, engageant la responsabilité de l’employeur dans la fourniture de l’avantage. Cette caractéristique est sortie renforcée des lois Evin du 31 décembre 1989 et du 8 août 1994 dans la mesure où le contrat d’assurance n’intervient désormais que pour gager les obligations que l’employeur a contractées en vertu d’un accord collectif classique, d’un referendum ou d’une décision unilatérale mettant en place des garanties collectives. Le défaut ou l’insuffisance d’assurance fait que l’employeur se substitue à l’opérateur absent ou défaillant.
L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
Pourquoi cette différence de traitement, au plan fiscal et social, suivant que le système de garantie collective s’applique ou non impérativement à tous les salariés ? Le fondement de la neutralité sous plafond, c’est le principe d’égalité de traitement devant les charges publiques. L’administration fiscale en a très tôt tiré, sous forme de tolérance introduite par un BOCD (Bulletin officiel des contributions directes) de 1963 que, tant que le montant des retraites acquises par un salarié de droit privé n’excède pas ce à quoi un fonctionnaire a droit, le montant des cotisations excédant celles des régimes légaux doit être, pour la partie patronale, exclu de l’assiette de l’impôt sur le revenu et, pour la partie salariale, déductible de celle-ci. Devant la difficulté à appréhender la contribution concernée alors qu’elle est conditionnée par des prestations qui seront versées plusieurs décennies après, l’administration fiscale évaluait, dans le BOCD du 27 avril 1967 confirmé ensuite par une instruction fiscale du 1er juin 1976, le montant des cotisations qui permettait d’arriver à ce montant de retraite. C’est de la qu’est née la fameuse règle des 19 % du salaire, elle-même limitée à 8 fois le plafond des cotisations de sécurité sociale, qui a toujours été celui des régimes de retraites de cadres supérieurs (Ircasup [Institution de retraite des cadres supérieurs] et autres) intégrés aujourd’hui dans l’Agirc (tranche III).
Cette règle a dû être légalisée (loi du 11 juillet 1985) lorsque la Cour de cassation a affirmé que ces mêmes cotisations étaient des salaires au plan de la sécurité sociale, ceci en raison des termes de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale (qui sont aujourd’hui son 1er alinéa) ; il fallait en effet consacrer légalement un principe de neutralité sous plafond valant aussi bien en droit fiscal qu’en droit social. D’où, en matière de sécurité sociale, la loi du 29 décembre 1979 et le décret du 23 juillet 1985 qui n’a pu être pris que lorsque la loi a consacré la règle au plan fiscal.
LA RETRAITE SUPPLÉMENTAIRE ET LA PRÉVOYANCE COLLECTIVE CONCERNÉES
On sait les évolutions ultérieures de ces textes sur lesquelles on ne s’étendra pas mais dont les principales caractéristiques – du fait de la loi Fillon de 2003 – sont les suivantes :
- La neutralité fiscale et sociale est réservée aux seuls systèmes collectifs et obligatoires. Au demeurant, la tolérance, avant 2003, au bénéfice des systèmes collectifs et facultatifs en matière de sécurité sociale résultant d’une circulaire de l’Acoss était très contestable, notamment du fait qu’elle ne s’appuyait que sur le silence de la loi et du décret.
- Elle concerne la retraite supplémentaire et la prévoyance collective. Par contre, la retraite complémentaire obligatoire est assimilée à la sécurité sociale de nature légale, solution logique dès lors que la loi de généralisation du 29 décembre 1972 a créé un droit à une retraite complémentaire pour tout salarié et que les régimes Agirc et Arrco (et Ircantec) ont été intégrés dans le règlement 1408-71 relatif aux exigences de libre circulation des travailleurs en matière de sécurité sociale. Bref, la retraite complémentaire obligatoire constitue la partie 1bis du premier pilier de la protection sociale tandis que les garanties collectives (de branche ou d’entreprise) constituent le deuxième pilier et l’assurance individuelle le troisième.
- Des seuils maxima existent aujourd’hui séparément pour la retraite supplémentaire et pour la prévoyance. Si la notion de retraite est aisément identifiable par la double exigence d’interdiction de rachat avant l’échéance et de sortie impérative en capital (édulcorées, hélas, par la récente nouvelle loi de réforme des retraites), les domaines de la prévoyance sont plus divers et moins identifiables d’autant que l’article L.911-2 du Code de la sécurité sociale, employant l’adverbe « notamment », crée une liste de risques non exhaustive. Quoiqu’il en soit, cela concerne le décès, l’incapacité, l’invalidité, le remboursement des frais de santé. Cette dernière remarque est importante dans la mesure où la Cour de comptes entend traiter de manière isolée les frais de santé, y considérant comme anormal le privilège fiscal des cotisations. Or, ce n’est pas la nature de cette garantie qui crée le privilège (social tout autant que fiscal) mais le caractère collectif et obligatoire du système mis en place.
DISTINGUER PRÉVOYANCE LOURDE ET COUVERTURE DU RISQUE SANTÉ ?
Il n’y a donc pas à faire de distinction entre la prévoyance lourde et la couverture du risque santé, improprement appelée « mutuelle » par suite d’une confusion du même type que celle qui conduit à appeler frigidaire (qui est une marque) tout réfrigérateur. Remarque importante dans la mesure où, au nom du principe de libre concurrence, les trois opérateurs du marché de l’assurance collective que sont les compagnies d’assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance ont un statut harmonisé.
Puisque le générateur de la règle de neutralité sous plafond c’est le principe constitutionnel d’égalité devant les charges, sa remise en cause pourrait venir d’une différence entre la retraite (ou les fonctionnaires ont une situation privilégiée) et la prévoyance où elle est moins évidente. Toutefois, si aucun régime de remboursement de frais de santé n’est prévu à titre obligatoire dans le statut de la fonction publique, les mutuelles des fonctionnaires bénéficient de subventions. Quoiqu’il en soit, supprimer la neutralité sous plafond uniquement pour la couverture du risque remboursement de frais de santé n’a aucun sens parce qu’on cherchera en vain les raisons de dissocier ce risque de la prévoyance lourde (autrement que par l’attachement à sa mutuelle et par le fait que la culture de la mutualité c’est l’adhésion individuelle). Et puis comment fera-t-on lorsque, ce qui est fréquent, les garanties décès, incapacité, invalidité et remboursement de frais sont indissociables du fait d’un taux unique global de cotisations et surtout de l’exonération de toute cotisation en cas d’arrêt de travail et d’invalidité ?
UN PROJET DE DÉCRET CONSENSUEL
2/ Au-delà de cette question première, fondamentale eu égard aux pistes avancées pour tenter de combler le déficit abyssal de la sécurité sociale, une autre très importante se posera en liaison directe avec le principe d’égalité de traitement. Puisque la neutralité sous plafond n’est acquise (et légitimement compte tenu de ce qui précède) pour les systèmes collectifs et obligatoires, que recouvre exactement cette expression ? Plus précisément, si, par définition, un système de garanties collectives couvrant tout le personnel de l’entreprise est évidemment concerné, peut-on considérer – et dans quelles conditions restrictives – que la réservation de l’avantage à tous les membres d’une seule catégorie de personnel ne remet pas en cause le caractère collectif et obligatoire dont dépend la neutralité sous plafond ?
On peut tout de suite écarter du bénéfice de la règle les systèmes conçus au profit exclusif d’une catégorie non objectivement définie. On est là en effet sur le terrain de l’abus de droit qui, depuis la loi de financement de la sécurité sociale de 1999, peut-être sanctionné dans le cadre d’une procédure spécifique.
La DSS a toujours souhaité aller plus loin. Dans une très importante circulaire du 30 janvier 2009, elle a présenté comme des exceptions – donc plus comme des tolérances que comme des impératifs juridiques – la possibilité de ne réserver qu’à certaines catégories, spécialement les cadres, des dispositions plus favorables mais sous certaines conditions. La DSS était consciente de la faiblesse d’une telle voie. En effet, si, depuis la loi Fillon de 2003, les circulaires ministérielles sont opposables aux organismes de sécurité sociale, rien n’interdit aux employeurs et aux salariés d’en contester le contenu au nom de la déviance par rapport à une règle légale.
Est donc actuellement en préparation un projet de décret (déjà soumis au Conseil d’Etat) – dont la rigueur a été assouplie suite à des discussions avec le monde de l’assurance et d’experts. Le poids du tissu conventionnel dans la construction des normes y est reconnu. De même les spécificités des travailleurs en matière de retraite et de prévoyance lourde y est admise, notamment du fait que le niveau de prestations de sécurité sociale est inversement proportionnel à celui des salaires. La position de la Direction de la sécurité sociale est par contre beaucoup plus stricte s’agissant de la garantie santé. Il est de fait qu’on trouve plus difficilement pour la couverture de ce risque à justifier que les cadres (par exemple) ont des conditions de travail qui exigent une couverture plus complète que celle des ouvriers. Dès lors, on n’admettra la neutralité que si toutes les catégories sont couvertes, tout en admettant que, par accord collectif, on puisse faire des différences suivant des catégories. Les risques d’anéantir, par l’accroissement du niveau des garanties complémentaires, les effets de maîtrise des frais de santé exercées sur le régime de base ne sont évidemment pas étrangers à cette manière de voir. Encore faut-il prendre en compte que lorsque le système est collectif et obligatoire, il entraîne des obligations particulières pour les entreprises, que ce soit en matière de prévoyance pour ce que l’on appelle contrats responsables ou par la prééminence possible des droits à des conditions identiques (article 4 de la loi Evin ou portabilité née de l’article 14 de l’ANI du 11 janvier 2008). Enfin, il se peut que l’accord fondateur des garanties consacre un objectif de solidarité justifiant une clause de désignation, voire de migration et créant de ce fait un « régime de sécurité sociale de nature conventionnelle ».
AU REGARD DU DROIT DU TRAVAIL L’INCERTITUDE DEMEURE
La portée des textes réglementaires – au regard de celle d’une simple circulaire de l’administration et peu important que, depuis la loi Fillon de 2003, celle-ci soit opposable aux organismes de sécurité sociale – fait que, quelque soit son contenu, du décret qui sera publié en octobre ou novembre apparaîtra une certaine sécurité juridique. Toutefois – et parce que son ambition ne peut qu’être la déclinaison de la règle de neutralité sociale sous plafond – il peut être vecteur d’interprétations fausses qui pourront être dévastatrices. Elles viendront de la certitude qu’en raison de l’application stricte d’un décret, la réservation à une catégorie précise d’avantages particuliers de retraite et(ou) de prévoyance n’aura aucun effet négatif. Or, ce décret ne pourra bien évidemment conditionner la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement en droit du travail.
En d’autres termes, en s’appuyant sur la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation – et l’exigence d’une raison objective – un salarié n’appartenant pas à une catégorie bénéficiant seule d’un système de garanties collectives pourra revendiquer le bénéfice de cet avantage, peu important que, au vu du contenu du décret, la neutralité sociale soit acquise. Et puisque, par définition, l’employeur n’est pas assuré, c’est l’employeur qui devra verser directement les prestations, lesquelles seront, s’il s’agit de rentes, leur capital constitutif. Pour une TPE, cela peut conduire au dépôt de bilan !
Ce risque est évidemment plus important dans les PME non seulement en l’absence de service juridique spécialisé mais encore du fait que l’employeur fera confiance à l’assureur vendant les produits, lequel aura assez facilement comme attitude de ne s’intéresser qu’à la règle de neutralité fiscale et sociale, au risque de voir sa responsabilité civile engagée au titre d’un défaut de conseil !
CE QUE DOIVENT FAIRE LES ENTREPRISES
Au vu de ce qui précède, c’est en tenant compte des deux aspects droit du travail droit et de la sécurité sociale simultanément qu’il faut absolument, dans la mise en œuvre de garanties collectives de retraite et(ou) de prévoyance :
- privilégier l’accord collectif classique, donc signé de syndicats, d’autant qu’il est plus aisé d’y justifier la retenue salariale imposée aux salariés en fonction à cette date ;
- précéder ce texte d’un exposé des motifs qui va justifier le caractère catégoriel du dispositif spécialement au vu des conditions d’exercice des fonctions, de l’évolution de carrière et(ou) des modalités de rémunération ;
- construire des avantages différenciés pour tenir compte de la situation particulière des membres de la catégorie (ex : le taux de remplacement plus modeste du T2 du dernier salaire par le montant des pensions justifie un taux de cotisation plu élevé sur cette partie du salaire, s’gissant d’un régime de retraite supplémentaire) ;
- le contrat d’assurance collective doit être bâti en référence au contenu de l’acte fondateur des garanties pour éviter que l’employeur ne soit pas même partiellement non assuré.
Bref, la qualité et la sécurité juridique du système mis en place dépendent, pour une bonne part, de l’ingénierie juridique déployée. Ce n’est pas toujours la préoccupation première de ceux qui interviennent dans la confection de la protection sociale complémentaire.
Jacques Barthélémy.
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